Crédit photo : Yannick Pages

Le : 27 janvier 2022, par Fabien Vidal

Yannick Pages

Fondateur de Yaplay, création de jeux professionnels et formation par le jeu.

L'essentiel

“Une chose qui me touche,
c’est quand le jeu amène du concret et du sens sur le fonctionnement d’une équipe ».

Yannick Pages est un ingénieur issu du monde de l’industrie, avec un savoir-faire en management et en animation d’équipe. Souhaitant se reconvertir, il a réfléchi à ce qu’il savait faire et ce qu’il avait envie de faire.

La transmission des bonnes pratiques et des outils qu’il avait créés pour faciliter son travail en entreprise était un premier point. De plus, joueur, il avait remarqué que les jeux de société sont pleins de mécanismes très proches des processus de travail en équipe, et qu’ils qui permettent de cadrer une expérience collective, tout en passant un bon moment ! Alors, en 2013, il a monté Yaplay, un organisme de formation professionnelle par le jeu.

Yannick nous explique son parcours, et ses usages du jeu.

Interview

Bonjour Yannick, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Yannick Pages, et je suis le fondateur de Yaplay, un organisme de formation professionnelle par le jeu. Je crée aussi des jeux pédagogiques.

J’ai une formation d’ingénieur scientifique. J’ai travaillé 8 ans dans de grands groupes industriels de l’aéronautique spatiale, de l’assainissement nucléaire, de la pétrochimie… J’y ai acquis des méthodes pour l’animation d’équipe. Mais je n’étais pas très à l’aise dans mon travail.

Alors je me suis posé un vrai questionnement : qu’est-ce que je sais faire ?  Qu’ai-je envie de faire ?

J’ai alors identifié que la transmission me plaisait beaucoup, et qu’il existait de bonnes pratiques et des outils. J’étais joueur aussi, depuis longtemps. Et j’avais identifié que dans les jeux modernes, il y a avait des mécanismes très proches des processus de travail en équipe. Alors, en 2013, j’ai monté mon entreprise, Yaplay.

 

Vous êtes joueur depuis longtemps. À quoi jouez-vous en ce moment ?

Je joue à des jeux de société, et des jeux de stratégie ! Ceux qui m’ont fait rentrer dans le jeu de société, ce sont Les Colons de Catane et Alhambra : on me les a présentés en 2002. J’ai vu leur intérêt, la stratégie. Et le matériel m’a attiré l’œil.

Dernièrement, j’ai joué à Citadelles, et à Esquissé qui est plus ludique !

Pendant le confinement et pour les gros jeux de stratégie, je joue aussi en ligne, sur Board Game Arena, une plateforme de jeux de société en ligne. Ça m’évite d’avoir à installer tout le matériel à chaque partie ! Et comme je vis dans le Lot, en zone rurale, il n’y a pas de club à proximité… Alors, la plateforme me permet de jouer aux jeux que j’aime avec des gens que je connais sur le site, et aussi de découvrir de nouveaux jeux !

Je vais aussi beaucoup dans les festivals de jeu, pour ne pas avoir à lire les règles ! Et j’en achète, pour découvrir des mécanismes. Dans mon travail, je n’ai pas la prétention d’inventer des mécanismes ! Par exemple, ce n’est pas moi qui ai inventé le draft (une manière pour les joueurs de choisir leurs cartes, en compétition avec les autres). Mais je les connais et je vais piocher dans ceux qui servent bien les objectifs du jeu.

 

Comment utilisez-vous le jeu dans un cadre professionnel ?

Je vais vous parler du jeu de l’aide à domicile. C’est un jeu qui est utilisé avec plusieurs objectifs.

Le premier objectif, c’est lors des campagnes de recrutement : il s’agit de présenter de façon interactive et vivante le métier d’aide à domicile aux candidats. On les installe autour d’une table de jeu, et on les met dans une situation de discussion autour des tâches routinières.

La première phase est collaborative : on crée ensemble un bénéficiaire. Cette phase est très importante pour moi, car un entretien à plusieurs, c’est très impressionnant ! Il faut donc accueillir les candidates et les sécuriser en les faisant jouer ensemble, et pas les unes contre les autres.

Ensuite, il y a des phases individuelles. L’enjeu, c’est de leur donner une vision du métier. C’est un métier où il y a du travail et pas besoin de diplôme. Alors il y a des gens qui viennent, mais qui n’ont pas la fibre : “Ah ? On a besoin de faire la toilette d’une personne âgée ? Je n’avais pas réalisé…

Le jeu permet également de les observer en suivant une grille d’observation. Aide à domicile, c’est un métier où l’on est seul avec le bénéficiaire, c’est une responsabilité. Voilà une autre situation par exemple : “ Le bénéficiaire a fait couler un café. Est-ce qu’on le boit ou pas ?”. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, mais si l’on reste bloqué là sans décider, ça pourrait être un problème…

Et finalement, après le jeu, il y a l’entretien avec l’animateur et l’observateur du jeu. Le jeu n’est pas éliminatoire et c’est un moyen pour casser les distances..

Le second objectif est la formation. Avec le même matériel, on va faire du “théâtre plateau” : le plateau de jeu représente un lieu vu de dessus. Une scène de théâtre, qui illustre une situation du métier, a été écrite, et on la fait jouer par les apprenants. La scène peut être assez horrible, mais le décalage n’expose pas directement les participants : on bouge les pions et on les fait parler. Chaque participant incarne un personnage, et ils échangent entre eux, mais à travers ces personnages. Ce sont les pions qui agissent, et ils offrent un tampon. Alors que les situations décrites sont exagérées mais réalistes, la mise en scène permet une immersion sans être exposé. Les participants rigolent…

Avec 2 minutes de scène, on pourrait en discuter pendant 1h : le théâtre plateau a activé le sujet de manière claire.

Niveau de difficulté attendu: Si le jeu n’est pas jouable par un enfant de 8 ans, alors il est trop complexe.

 

Comment en êtes-vous venus à utiliser le jeu dans le cadre professionnel ?

Créer du jeu m’a toujours attiré. D’ailleurs, il paraît que 50% des Français veulent créer des jeux ou écrire un livre. Et j’ai basculé à un moment où j’avais trop de responsabilités dans ma carrière. Mais au lieu d’aller vers le jeu grand public, où il y a une énorme concurrence, j’ai préféré alors vers le jeu professionnel, des jeux avec des objectifs et du sens.

J’avais déjà identifié que dans les jeux, il y avait des stratégies qui peuvent être utilisées dans le monde professionnel, sur la communication, sur la négociation, la mise en place d’une stratégie. À chaque fois que je jouais, je voyais tout ça !

Mais lorsque j’ai créé mon activité il y a 9 ans, j’étais un OVNI complet. À l’époque, le jeu ne pouvait pas être utilisé comme un objet professionnel. On m’a fermé beaucoup de portes, y compris dans des structures dans lesquelles j’avais travaillé : “Mais Yannick, ce n’est pas sérieux…

Mais un jour, j’ai été sollicité par Jean Jaques Felix de Delta Management. Merci la Belgique !

Il me contactait pour savoir si je voulais recevoir une formation Lego Serious Play. C’est une manière de faire construire des solutions de manière individuelle et collective, à base de Lego et en mettant en place des règles de travail collaboratives. J’ai d’ailleurs assisté à cette formation il y a 2 ans.

Nous avons discuté pendant 2h, et au final, c’est moi qui leur ai donné une formation ! J’avais pile la bonne la maturité, et des jeux efficaces qui tournaient bien. Et eux, ils ont fait venir des partenaires. C’était un démarrage.

Avec son partenaire Pierre Yves Maniquet de la société ARN, nous sommes intervenus auprès de grosses structures. Et ça faisait longtemps qu’ils avaient l’ambition d’utiliser le jeu. Alors je les ai aidés, et ensemble nous avons formé au télétravail  toute la ligne managériale d’ORES (l’EDF de Wallonie). Il s’agissait de leur faire vivre une expérience de télétravail, avec un jeu collaboratif. Puis nous leur avons fait exprimer ce qui les avait marqués. Et à partir de là, ils ont eux-mêmes transposé et choisi les axes sur lesquels progresser dans leur activité !

Avant, les formations devaient se dérouler suivant un programme théorique. Là, le jeu outil était présent pour cadrer une expérience collective de travail. C’est une activité qui n’est pas dans la réalité, ou dans une réalité secondaire. Elle permet d’offrir un cadre aux participants pour expérimenter les bonnes pratiques collaboratives. Les règles du jeu et l’accompagnement de l’animateur maître du jeu garantissent un espace sécurisant d’écoute et de parole, en passant un bon moment !

Au final, j’ai travaillé 3 ans avec ARN et Delta. Nous avons fait 4 jeux ensemble. J’étais déjà mûr, mais j’ai beaucoup appris avec eux, et ils m’ont donné du concret, de nouvelles techniques d’animation et des sessions plus interactives.

Après la Belgique, il y a eu un second déclic : j’étais en relation avec le Parc naturel régional des Causses du Quercy. À l’origine leur objectif était de sensibiliser et faire monter en compétence les élus sur l’aménagement du territoire et la trame verte et bleue. Mais nous avons enchaîné sur d’autres jeux à destination des enfants et du grand public sur la connaissance du territoire, la préservation du ciel étoilé… qui ne visaient pas la formation.

Aujourd’hui, on en est à 31 jeux développés. Fabriqués presque exclusivement dans le Lot avec des matériaux éco-responsables.

Maintenant, il y a 4 grands principes de jeu que j’ai mis beaucoup de temps à développer, et que je réutilise dans 50% de mes jeux. Une partie du travail de conceptualisation est passée, et maintenant, j’essaie de capitaliser quand c’est judicieux.

 

Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?

Il y a un sujet qui me touche, mais c’est personnel : pendant une période, à cause de mon métier, j’étais bloqué comme joueur.

Lorsque je découvre un jeu, je vois tout de suite ce que je peux utiliser. Mais je passe aussi une partie de mon temps à bloquer sur la partie créative. La conséquence, c’est que pendant toute une période, je n’arrivais plus à jouer pour gagner… J’ai eu besoin de me détacher de cette analyse des mécanismes pour retrouver le plaisir.

Une autre chose qui me touche, c’est de voir quand le jeu permet d’améliorer les choses dans une équipe, quand il amène du concret et du sens sur le fonctionnement d’une équipe.

Par contre ces dernières années, j’ai rarement été surpris par les usages du jeu…

 

Pour finir, avez-vous de nouveaux projets liés au jeu ?

Des projets, j’en ai plein !

Le dernier est un sujet très intéressant. C’est un jeu pour les collégiens sur l’aménagement du littoral et la submersion marine : l’océan va monter, et il faut prendre en compte l’impact maintenant. Plus on construit près du bord, plus c’est rentable. Mais à chaque tour de jeu, l’eau monte ! Il va se jouer en classe avec 5 équipes de 5 personnes sur une même commune, et ils vont construire les aménagements ensemble.

Cette fois, ce n’est pas moi qui ai créé le mécanisme, mais j’ai conçu le matériel. Et c’est une fabrication hyper excitante : il y a un plateau avec des différences de niveau de hauteur, et nous travaillons avec l’atelier d’un ESAT local.  Le support de jeu et sa fabrication sont importants aussi ! En tout, 100 exemplaires ont été diffusés dans la région entière.

 

Aller plus loin

En savoir plus sur Yannick Pages

Yannick Pages – LinkedIn

Yaplay – Site

 

Ceux qui ont été cités

Lot – Wikipedia

Draft – Wikipedia

Belgique – Wikipedia

Jean Jacques Felix – LinkedIn

Delta Management – Site

Pierre Yves Maniquet – LinkedIn

ARN – Site

Lego Serious Play – WikipediaSite

Lego – WikipediaSite

ORES – WikipediaSite

Wallonie – Wikipedia

EDF – WikipediaSite

Parc naturel régional des Causse du Quercy – WikipediaSite

ESAT (etablissement et service d’aide par le travail) – Wikipedia

 

Les jeux qui ont été cités

Les Colon de Catane – WikipediaTric-Trac

Alhambra – WikipediaTric-Trac

Citadelles – WikipediaTric-Trac

Esquissé – WikipediaTric-Trac

Board Game Arena – WikipediaSite