
Le : 14 décembre 2021, par Anna Cotard et Fabien Vidal
Xavier Girard
Curateur et coordinateur de projets « arts numériques », jeune public et jeu vidéo.
Coordinateur pédagogique à l’École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans.
L'essentiel
“Rendre les gens créatifs, c’est le fil de ma vie”
Xavier Girard conçoit des projets culturels numériques. Et il donne tout pour leur insuffler vie !
Pour lui, le jeu vidéo est le support idéal pour rendre accessible le monde artistique numérique. Ainsi, il a débuté sa carrière comme coordinateur du pôle de création numérique dans une structure d’éducation populaire à Beauvais. Il y a créé le festival “Les pixels” en 2006. Puis a continué avec le “Retro No Future Game Festival” à Cergy en 2013, et le montage de l’exposition itinérante Oujevipo en 2015.
Pour Xavier, le jeu vidéo est un objet politique : il veut sensibiliser la jeunesse au jeu vidéo indépendant, et transmettre par la même occasion la justesse de fabrication, la curiosité, le rapport éducatif qui découle de ce type de jeu, et surtout promouvoir la créativité. C’est pour ces raisons qu’il défend une politique publique du jeu vidéo.
Pourtant, son rapport au jeu n’est pas exclusivement construit sur le plaisir… C’est aussi un stress permanent des dépenses et de la réussite de projets dans lesquels il met son âme. Mais si le soutien est là, il est prêt à rempiler pour monter un festival punk du jeu vidéo ! Un festival national, voire mondial, où l’on puisse s’immerger complètement, et avec délice…
Interview
Bonjour Xavier, qui êtes-vous ?
C’est difficile de résumer sa vie en quelques mots ! Mon parcours est alambiqué… J’ai d’abord commencé avec le monde de la bande dessinée, puis celui des arts graphiques, avant d’arriver à la création numérique, vers les années 2000.
Depuis 2006, je travaille sur le jeu vidéo avec une approche culturelle. C’est l’année où j’ai pris la direction de l’Espace Culture Multimédia de l’ASCA à Beauvais. J’y ai notamment organisé mon premier festival ayant comme centre de gravité le jeu vidéo : Les Pixels. Mais à l’époque, il était impensable que le jeu vidéo soit l’objet central ! Alors avec l’équipe de l’ASCA, nous nous sommes appuyés sur les cultures graphiques et musicales tournant autour du jeu vidéo.
En 2013, j’ai eu l’opportunité de prendre la direction d’un pôle numérique de la ville de Cergy, Visages du Monde, où nous avons monté un festival punk du jeu vidéo, le Retro No Future Games Festival. Nous avions de super moyens pour organiser l’évènement, tout en étant designer. Dommage que ça n’ait été qu’un one shot…
Ensuite, j’ai monté l’exposition Oujevipo (OUvroir du JEu VIdéo POtentiel)) avec Pierre Corbinais. C’est une exposition itinérante qui mettait en scène des jeux indépendants et des contrôleurs originaux, voire inadaptés (par exemple, le joueur ne peut pas voir l’écran, et doit donc se coordonner avec une autre personne qui le voit). L’objectif était de sensibiliser la jeunesse au rapport au jeu en général, et au jeu vidéo indépendant en particulier.
J’ai aussi une approche artistique, où mon rôle est de faire le lien entre l’intérieur et l’extérieur de l’écran. Et ça passe par le design d’événements et le design d’objets.
À l’heure actuelle, je suis coordinateur pédagogique à l’École Supérieure d’Art et de Design (ESAD) d’Orléans. J’organise parfois des workshops de création avec les étudiants. Mes projets sont aujourd’hui davantage liés à la bande dessinée et au numérique, notamment sur la manière dont on peut s’appuyer sur le jeu comme support de relation au monde physique.
Êtes-vous joueur ? Si oui, à quoi jouez-vous ?
J’ai pris cause pour le jeu indépendant, et pour l’approche critique du jeu vidéo industriel !
Il y a une pluralité d’approches dans les jeux vidéos : de la même manière que toute la littérature ne m’intéresse pas, tous les jeux ne me plaisent pas. Ainsi, depuis 5-7 ans, je n’ai plus d’intérêt pour le jeu industriel. Culturellement, un jeu comme Fifa Soccer n’entretient qu’un simple rapport de séduction avec le public. Or, ce que je cherche, c’est le rapport éducatif, de curiosité, de fabrication. C’est le potentiel créatif des gens qui m’intéresse vraiment. Rendre les gens créatifs, c’est le fil de ma vie !
En tant que joueur, j’explore en ce moment la frontière entre le film et le jeu, comme dans L.A. Noire, les jeux de David Cage (Detroit: Become Humane et autres jeux du studio Quantic Dream), ou encore l’épisode interactif Bandersnatch de la série Black Mirror. Je cherche à rencontrer des expériences entre la narration traditionnelle et la narration interactive.
Dans cette lignée, je m’intéresse à des outils de création de jeux narratifs comme Metaverse (création de fictions en réalité augmentée), Twine (fiction interactive), Bitsy (un outil très simple pour créer des jeux d’aventure), ou encore Tyrano Builder (un outil de création de Visual Novels, des romans interactifs graphiques).
Je m’intéresse également à PICO-8, qui est un outil de création de jeux de style rétro.
Ce qui m’amène à une autre passion : la scène de jeu rétro et ses collectionneurs !
J’aime la rareté du jeu et les bizarreries industrielles qu’on retrouve, tant sur le plan artistique que politique. J’aime lorsque le jeu n’est pas qu’une industrie qui a vocation à vendre, mais aussi un médium qui propose des expériences inédites. À l’image justement, de ce qui était proposé dans l’épisode Bandersnatch.
Vous nous avez cité quelques exemples d’événements, mais concrètement comment utilisez-vous le jeu ?
Paradoxalement, le jeu est assez secondaire pour moi. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est le projet que j’ai entre les mains : je ne cherche pas à savoir si je crée des jeux.
Par exemple, j’ai monté l’Institut d’hypothèses graphiques avec la Gaité Lyrique : un atelier scénarisé où la salle tout entière pouvait, en direct, dessiner et créer des jeux vidéo. Chacun pouvait dessiner, récupérer les dessins, les juxtaposer… C’était une forme hybride d’exercice, de jeu collectif et de numérique. Et en le faisant, je ne me suis pas demandé si c’était du jeu vidéo….
Un autre exemple : Formule Carton 3000, un projet de transfert du jeu vidéo dans le physique. Nous avons organisé, avec la ressourcerie AAA d’Orléans, une course de vaisseaux spatiaux en carton, appuyés d’un support numérique qui détectait les mouvements et déclenchait des sons. C’était à la fois un atelier de bricolage, du jeu-performance, et de la création de lien.
Je ne suis pas un joueur de jeux en réseau : ce que je recherche, c’est ce qu’on fait en collectif, autour de la borne d’arcade ou ailleurs.
Alors, est-ce que monter ces projets, c’est toujours du plaisir ?
Je fonctionne au projet, car c’est hyper stimulant. Mais à un moment, ça devient encombrant, ça demande de l’entretien, trop de logistique…
Par exemple, l’exposition Oujevipo devait initialement se produire sur 3 dates. Or, dépassé par son succès, je me suis retrouvé à faire une sorte de tour de France (Dijon, Villeurbanne, Draguignan, Nantes, Amiens …). À certaines dates, ce projet artisanal n’était pas assez costaud ! Alors, il fallait faire des réparations en urgence ! Je dormais très peu, et dans un camion… Faire vivre un projet très sollicité, qui a quelques moyens financiers, mais pas suffisamment pour le mener de manière décente, c’est épuisant. Maintenir des constructions très artisanales, c’est gourmand en énergie…
Ainsi, mon rapport au jeu n’est pas construit exclusivement sur le plaisir, mais aussi sur le stress de la réussite du projet, celui des dépenses… À la fin de l’exposition Oujevipo, je n’avais même plus assez d’argent pour payer l’essence du dernier voyage ! Toutefois, c’est dans cet univers que je me sens vivant. J’aime bien me positionner dans une sorte d’avant-garde. J’aime ce que m’offre mon métier, et les expériences que je vis.
Qu’est-ce qui vous a amené à utiliser le jeu comme support artistique et de médiation ?
Je pense que ma culture du jeu vient en partie du théâtre d’impro. Tous ces petits ateliers scénarisés ont développé ma créativité et mon goût du jeu. J’ai eu l’occasion de participer à un spectacle filmé, et ce rapport entre la scène et le spectacle m’a plu.
Au départ, j’ai travaillé dans une structure d’éducation populaire à Beauvais, l’ASCA, où je me suis retrouvé coordinateur du pôle de création numérique. Je me suis retrouvé dans un contexte social peu favorisé. Il fallait que je trouve le médium approprié pour transmettre les clés de compréhension à l’art contemporain numérique. Or le jeu vidéo est LE médium populaire du numérique, tout comme les musiques actuelles sont le médium populaire de la musique en général. Ça en fait le support idéal pour rendre accessible le monde artistique numérique !
Je fais aussi partie de la génération qui a connu le boom du jeu vidéo : adolescent, je jouais beaucoup. J’ai donc des repères dans le domaine du jeu, et je l’utilise naturellement en médiations. Mais il reste un outil.
Par contre, lorsqu’en 2006 j’ai organisé le premier festival Les Pixels, le jeu vidéo n’était pas encore reconnu culturellement. Mais sa culture, comme son esthétique par exemple, s’était déjà diffusée dans la musique et le cinéma. Je me suis donc appuyé sur ces œuvres pour pouvoir représenter le jeu de manière légitime. C’est seulement en 2008 que j’ai pu véritablement exposer des objets directement liés au jeu vidéo, avec des consoles NES bidouillées par un collectif d’artistes. On pouvait enfin montrer une réappropriation du jeu vidéo par des personnes qui avaient une culture artistique !
J’ai également été emmené par des artistes qui traitent du jeu. Ceux qui ont une légitimité dans le sujet viennent notamment de l’ESAAIX, l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, comme Leslie Astier, Florent Deloison, Chloé Desmoineaux… Et il y a aussi tous ceux qui viennent du jeu, et se créent une liberté pour tendre à devenir artistes. Ce mélange entre deux mondes, qui se rencontrent peu, est génial !
J’évoquais plus tôt qu’au fond le jeu était secondaire, que dans mes méditations je ne me demande pas si je suis en train de faire du jeu. Mais je défends néanmoins la cause du jeu. Il faut sortir des clichés sociaux, artistiques et culturels ! C’est intéressant de se rendre compte que le jeu vidéo ne rassemble pas que des abrutis qui sont sur leur écran en permanence. Je pense que nous avons intérêt en France, à plaider pour une politique publique sur le jeu.
Y a-t-il d’autres actions liées au jeu, qui vous ont touchées ?
Plus que des actions, il y a énormément d’artistes qui m’ont touché. Les artistes d’Aix, mais aussi Antonin Fourneau, Gangpol & Mit, Yann Van Der Cruyssen, Pierre Corbinais, pour ne citer qu’eux, représentent de véritables sources d’inspiration.
Antonin Fourneau est très important pour moi. Il fait une synthèse de plein de choses qui m’intéressent, comme Eniarof (“Foraine” écrit à l’envers), évènement entre la fête foraine, l’exposition, l’art contemporain et la création de liens. Même dans le rapport du corps au jeu, il m’a permis de former des projets.
Gangpol & Mit ont réalisé La Boite, un projet où un musicien s’est associé avec un graphiste pour un concert dans lequel ils ont créé du mobilier sculpté, musical et multimédia. Ce n’est pas du jeu, mais ils ont été une vraie source d’inspiration, y compris sur le modèle économique.
Yann Van Der Cruyssen, était le développeur de la boite et du studio G&M. C’est un touche à tout, il représente un mode de création contemporaine du jeu.
Et il y a Pierre Corbinais, qui a tenu pendant 9 ans l’Oujevipo, un blog sur le jeu vidéo indépendant et expérimental. C’était une approche marquante dans l’histoire du jeu vidéo Français. Il est à mon sens essentiel pour avoir démocratisé le jeu indé et expérimental en France.
Avez-vous de nouvelles envies ?
Bien sûr, j’ai plein de projets ! Pour le moment, j’ai collecté un grand corpus de BD faites par un enfant, que je vais scénariser, mais sans en faire quelque chose de trop standardisé.
J’aimerais aussi beaucoup faire un atelier spectacle, c’est-à-dire créer une expérience vidéo ludique collective sur l’interaction et la narration d’une salle de cinéma. En somme, faire du jeu vidéo dans une salle de cinéma.
Je voudrais vraiment créer des lieux interactifs. Il n’y a pas eu d’équivalent au one shot de Retro No Future Games Festival. Les festivals punks du jeu vidéo, des événements où l’on puisse s’immerger de manière délicieuse et totale, ça n’existe pas ! Et il y a une place vacante. Mais je ne cherche pas à monter coûte que coûte cet évènement. Par contre, si un jour l’occasion se présente, si j’ai l’opportunité de donner suite à ce projet, je pense avoir la capacité d’aller loin dans le rapport au jeu ! Il faudrait réfléchir aux différents acteurs publics que ça peut intéresser, à potentiellement amener la scène parisienne. Ou même mondiale !
Aller plus loin
En savoir plus sur Xavier Girard
Xavier Girard – WordPress – Linkedin
Ceux qui ont été cités
ASCA – Site
Les pixels – WordPress de Xavier Girard
Visages du Monde – Site
Retro No Future Games Festival – WordPress de Xavier Girard – Site “Oujevipo”
Oujevipo – Site
Pierre Corbinais – Site – Youtube (ARTE)
ESAD Orléans (école supérieur d’art et de design d’Orléans) – Site
Jeux de David Cage – Wikipédia
Quantic Dream – Site – Wikipédia
Bandersnatch (Black Mirror) – Wikipédia
Metaverse – Metaverse Studio
Institut de l’hypothèse graphique – Site – WordPress de Xavier Girard
La Gaité Lyrique – Site – Wikipédia
Formule Carton 3000 – WordPress Xavier Girard
La Ressource AAA – Site
ESAAIX École supérieur d’art d’Aix en provence – Site
Leslie Astier – Linkedin
Florent Deloison – Site
Chloé Desmoineaux – Linkedin – Site
Antonin Fourneau – Site
Gangpol & Mit – Wikipédia
Yann van der Cruyssen – Site (avec des liens vers ses projets)
Eniarof – Site
La Boîte – Blog de Gangpol & Mit
Les jeux qui ont été cités
Fifa Soccer – Wikipédia
Bitsy – Site de Bitsy Editor
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