
Le : 29 septembre 2021, par Fabien Vidal
Vincent Marty
Ancien directeur général de ESL Gaming France, Président de DAREWISE/FARYOND et Président de Pixel Players.
L'essentiel
« Métro, boulot, switch et peu de dodo”
Vincent Marty est un passionné de jeu vidéo, de son industrie, et de pédagogie. C’est aussi l’ancien directeur général de la filiale française d’ESL gaming, un des leaders européens de l’e-sport. Il est donc particulièrement bien placé pour nous parler des métiers de cet univers en ébullition.
S’il soutient l’aspect ludique du jeu vidéo, il tient à retirer le fantasme du travailleur gamer. Il revendique que le jeu vidéo est devenu central, à la fois dans l’univers culturel social moderne, que dans le développement économique de nombreuses industries. Tout le jeu n’est pas de l’esport et l’esport n’est pas que du jeu.
Vincent Marty interroge également la place du jeu dans l’éducation, en soutenant qu’il devrait être plus intégré dans la formation.
[ndlr] : Cette interview a été réalisé alors que Vincent Marty était directeur général d’ESL gaming France. Aujourd’hui il est Président de DAREWISE/FARYOND et Président de Pixel Players.
Interview
[ndlr] : Cette interview a été réalisé alors que Vincent Marty était directeur général d’ESL gaming France. Aujourd’hui il est Président de DAREWISE/FARYOND et Président de Pixel Players.
Bonjour Vincent, qui êtes-vous ?
Bonjour, je suis Vincent Marty, directeur général de la filiale française, basée à Tours, et vice-président chargé du développement international pour ESL gaming. ESL en tant que société spécialiste dans l’e-sport ne crée pas le jeu, mais organise des événements d’e-sport et accompagne les développeurs pour leur permettre d’offrir des expériences compétitives aux joueurs qui jouent à leur jeu.
Même si ça fait 15 ans que je travaille dans le jeu, en travaillant avec ESL, je m’ouvre la porte de l’esport, un terrain qui m’était inconnu auparavant.
Et vous du coup, à quoi jouez-vous ?
Oh, je joue à des jeux, mais j’ai un peu passé le cap du jeu e-sportivement. Je l’ai déjà fait sur Strarcraft 2 notamment et sur beaucoup de jeux de danse, et jeux de musique. Aujourd’hui, je suis plutôt un découvreur c’est-à-dire que j’aime bien découvrir un jeu, voir ce que ça donne et passer à autre chose…J’ai testé Scavengers, Wild Rift sur mobile, Valheim sur PC. Il faut être curieux et encore plus quand on est sur l’aspect créatif du développement du jeu. Ça fait partie des bons côtés du métier. Essayer des choses, parfois passer beaucoup de temps sur un jeu parce qu’il y a des mécaniques qui sont intéressantes à développer et à creuser, puis passer du temps sur Twitch à regarder à la fois ce qui s’y passe et la manière dont les gens jouent aux jeux vidéo.
Dans l’esprit collectif, il y a le fantasme qui suppose que si une personne travaille dans le jeu vidéo, alors elle doit y jouer toute la journée. Or, c’est complètement faux ! Les rares métiers qui le demandent ne sont en général pas très funs. Le testeur typiquement (celui dont le métier est de chercher les bugs), doit faire 500 fois le même niveau pour se cogner contre tous les murs et voir s’ils sont bien solides ou si on peut passer à travers. On est loin du grand divertissement.
Par ailleurs, je joue aussi beaucoup aux jeux de société, qui sont, soit dit en passant, une source immense de design dans le jeu vidéo. En ce moment, j’aime jouer à Calico et Copenhagen, des jeux de plateau très sympas à faire en famille.
J’ai également été un grand joueur de jeux de cartes pendant longtemps, et notamment de Magic.
Vous êtes un professionnel du jeu. Pouvez-vous nous parler des métiers de ce secteur ?
Selon le patron d’Ubisoft, 85% des métiers du futur dans le jeu vidéo, n’ont pas encore été inventés ! Typiquement, il y a 10 ans, le métier de technical artist (personne qui est à la frontière entre l’artiste et le technicien pour intégrer les éléments graphiques dans le jeu), n’existait pas. Donc, dans le jeu vidéo au sens large, il y a sans cesse des métiers inexistants hier qui se créent et qui débarqueront demain. Et comme le montre la cartographie des métiers de l’esport, du chercheur Nicolas Besombes, très peu de métiers sont spécifiques à ce domaine. Le sport en est l’exemple parfait. S’il est un domaine d’activité à part entière, aujourd’hui, l’ensemble des pilotes de formule 1 s’entraînent sur des simulateurs de jeux vidéo. Ce fait suppose deux choses. D’une part, le sport fait parti intégrante des métiers du jeu, et d’autre part, outre l’aspect purement physique propre au sport, tous les autres aspects, que ce soit mentaux, cognitifs, de réflexe, de communication (etc), sont similaires à ce qu’on peut retrouver dans le sport, d’où l’appellation esport.
En revanche, il ne faut pas oublier que le jeu vidéo est avant tout un logiciel de loisir !
Le jeu vidéo est de plus en plus intégré dans les habitudes de vie de chacun. Si avant, le schéma « métro, boulot, dodo » régnait, la nouvelle ère qui s’installe veut que l’on soit dans un « métro, boulot, switch et peu de dodo ».
Cependant, les mécaniques qui ont été développées dans le jeu vidéo, en font un véritable outil pour aller au-delà du ludique. Il peut aussi bien prendre la forme de serious game, pour apporter un côté gamifié à des sujets plus complexes et non orientés sur le loisir, comme de projets éducatifs visant à l’apprentissage, tel Power Z où l’idée est de faire une sorte de MMO (jeu en ligne massivement multijoueur) de l’éducation, ou encore d’un outil de retour à la sociabilisation, qui va permettre à certaines personnes en situations de handicap d’interagir avec d’autres personnes.
Si l’omniprésence du jeu dans mon domaine professionnel est indéniable, il n’est pas utilisé qu’à des fins ludiques. De plus, attention, l’esport, ce n’est pas le jeu vidéo !
L’esport, ce n’est pas du jeu. Pouvez-vous expliquer la différence entre le jeu vidéo et l’esport ?
Chacun peut donner sa propre définition, mais pour moi, l’esport, c’est la pratique compétitive du jeu vidéo dans un cadre prédéfini. C’est à dire que je ne considère pas que m’asseoir sur le canapé avec mon cousin pour jouer à Mario Kart, soit de l’esport. En revanche, m’asseoir sur le canapé avec mon cousin pour participer à une compétition en ligne de Mario Kart, ça c’est de l’esport. Pour moi, il faut quand même donner un cadre, qu’il soit professionnel ou non. La compétition n’implique pas forcément de gagner des milles et des cents. Elle peut tout à fait prendre la forme d’une simple compétition de quartier, comme on ferait un foot à 5 dans le parc à côté de chez soi.
Le jeu vidéo, c’est l’enveloppe de tout ça. Il n’y a pas d’esport sans jeu vidéo. La différence entre les deux dépend de ce qu’on fait du jeu vidéo.
Aujourd’hui, une discipline esport repose sur un logiciel de divertissement créé et développé : le jeu vidéo. On peut aussi bien y passer 5min, comme sur candy crush, que 10 ans à développer son personnage, son histoire, à rencontrer sa femme, à se marier, (…), tel que le propose World of Warcraft. La diversité, le renouvellement des jeux, fait toute la richesse des jeux vidéo.
Comment expliquez-vous cet engouement autour du jeu vidéo ?
Je suis partie prenante pour dire que le jeu fait partie de la pop culture mondiale. Aujourd’hui, c’est le médium le plus consommé des générations. On voit des concerts dans Fortnite, des défilés virtuels de Gucci qui sont faits dans des jeux vidéo, et on voit également KFC ou Adidas qui ouvrent des magasins virtuels dans Animal Crossing. Le jeu vidéo est devenu central à la fois dans l’univers culturel et social moderne et dans le développement économique des locaux d’industrie. Plusieurs facteurs l’expliquent.
Tout d’abord, depuis les années 1980, les gens consacrent plus de temps aux loisirs. Le temps accordé au divertissement est plus grand et les gens se sont orientés vers un passe-temps praticable n’importe quand : le jeu vidéo.
Le jeu vidéo est également beaucoup plus accessible. Avant, il fallait une console et la brancher, alors qu’aujourd’hui, tout le monde a un téléphone portable. Donc, on peut tous être un gamer. De mémoire, 88% de la population joue aux jeux vidéo ! Quand on fait un solitaire sur son PC, ou encore une partie de candy crush, on n’a pas l’impression d’être gamer, mais la réalité c’est qu’on joue à un jeu vidéo.
Le troisième facteur est le mélange des genres. A l’image de Disney qui a pris de l’importance dans l’univers cinématographique, le mélange des genres dans le jeu vidéo est quasiment à 50/50. Je crois même qu’en France les femmes sont surreprésentées sur la consommation de jeu vidéo. Il est évident que si on se contente de regarder seulement les statistiques de Fifa et Call Of Duty, en termes de proportion, il y aura beaucoup plus d’hommes. C’est pour ça qu’aujourd’hui, quand on développe un jeu vidéo, de plus en plus de réflexion et d’attention sont portées à ce que le jeu vidéo puisse aussi parler aux joueuses avec des codes, des représentations graphiques, des environnements qui leur permettent de s’exprimer pleinement au même titre que s’expriment les 15-25 masculins.
Qu’est-ce qui vous a amené à utiliser le jeu comme médium ? A vous diriger vers le jeu ?
Ma passion pour le jeu !
J’ai toujours été un grand consommateur de jeux vidéo et d’internet. Avec un copain de promo, nous avons proposé à l’école que, plutôt que de faire un stage de fin d’études, nous développions notre propre société. Ainsi, nous nous sommes lancés dans la création totale d’un site de jeu d’argent sur internet. J’ai donc débuté à la fois en tant que développeur et entrepreneur. Au bout d’un moment, la société a bien fonctionné, et j’ai rejoint Ubisoft qui cherchait des profils spécialisés sur les jeux en ligne et notamment sur la partie marketing (créer de toute pièce une nouvelle équipe à Paris dans leur bureau européen). C’est comme ça que j’ai commencé à interagir avec des studios de développement mondialement connus sur des jeux comme Just Dance, Assassin’s Creed et j’en passe. Au bout d’un moment, j’ai eu envie de toucher du doigt la partie création pour monter mon parcours moi-même. J’ai quitté Ubisoft pour monter mon propre studio “Darewise” de développement de jeux au début des années 2000. L’expérience fut incroyable. Il a fallu définir un projet créatif, rassembler une équipe, commencer à monter les premières briques créatives pour que le jeu fonctionne.
J’ai essayé d’autres univers que celui du jeu. A un moment, je suis allé voir des entreprises qui font de la gestion de la paye des composants électroniques, mais je me suis bien rendu compte que ce qui m’intéressait était le développement digital en général.
Ainsi, j’ai vraiment toutes les casquettes dans le monde du divertissement et du digital. A la fois la partie entrepreneurial, la partie de développement de jeu, la partie marketing chez Ubisoft et puis la partie événementielle avec ce que je fais aujourd’hui chez ESL. Je ne prétends pas avoir tout vu, mais j’ai de l’intérêt pour chacune des choses que j’ai pu voir.
De plus, je pense sincèrement que le jeu vidéo est loin d’être un simple objet de violence, d’addiction et d’isolement comme le laissent penser les clichés véhiculés. Au contraire, quand il est consommé de la bonne manière, je trouve que le jeu vidéo moderne est un outil de communication, de rassemblement communautaire, et de développement de bonnes pratiques. En revanche, il est certain qu’il existe des débordements. Que ce soit pour des évènements que nous produisons avec ESL gaming de A à Z, comme la Dreamhack, ou pour des créations partielles, un stand composé de médecins, pompiers (etc), est disponible pour sensibiliser le jeune public aux dérives du jeu. De la même manière, le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) met en avant plein de bonnes pratiques sur la consommation du jeu et notamment sur la recommandation de la tranche d’âge de prévention pour s’assurer que chacun pratique de manière raisonnée, censée et comprise les jeux vidéo.
Est-ce que vous avez vu d’autres actions similaires, avec du jeu ou non, qui vous ont particulièrement touchées ?
Ma vie personnelle et familiale a fait que j’ai toujours vécu au contact d’enseignants et de professeurs. J’ai également toujours eu une très grande admiration pour la transmission du savoir et de l’éducation. J’ai à cœur de faire en sorte qu’il puisse y avoir dans tout ce qu’on entreprend, à la fois une composante éducative et de développement social. C’est pourquoi, j’ai été très touché par un projet pour la Région Normandie pour lequel on m’a demandé d’intervenir en tant que consultant. L’idée portée par le projet est de former l’Insep du jeu vidéo au même titre que l’Insep, pour le sport, forme des athlètes à la fois d’un point de vue, certes, physique de leur discipline mais aussi culturel pour favoriser la reconversion des athlètes.
Je suis également parrain de la première session de formation au CEFIM sur le métier de chargé de communication esport. C’est très intéressant de pouvoir échanger avec des gens qui viennent d’horizons différents, mais qui s’intéressent à ce milieu, et qui partagent une base commune : les métiers de la communication. Ça me permet de corréler mon métier avec l’éducation, qui me tient tant à cœur.
Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?
Tout à fait. J’ai 2 projets personnels que j’aimerais développer.
Le premier, “Deep”, est un projet qui allie développement du divertissement digital et écologie. C’est d’essayer de créer un pôle de compétence, de savoir, d’exploitation, autour du développement de jeu vidéo ou de la pratique de l’esport, peuvent être faites de manière beaucoup plus consciente et consciencieuse de l’écologie. Aujourd’hui, à cause des serveurs et des ordinateurs utilisés, le jeu vidéo est la 6ème industrie la plus polluante dans le monde ! Or, on se soucie peu de cet impact sur l’écosystème. Le projet de sensibiliser autour de ces questions que j’ai développé il y a quelques mois et que j’essaie de porter dans la région, consiste à créer un lieu d’expression sur les enjeux du jeu vidéo, de l’e-sport et de tous les divertissements digitaux, avec une approche responsable d’un point de vue écologique.
Le deuxième projet est davantage tourné sur l’éducation. J’aimerais créer un studio à destination de tous les étudiants qui sont dans les métiers du jeu vidéo et qui voudraient se lancer dans leur propre aventure, mais qui n’auraient pas l’écosystème nécessaire pour le faire. L’idée est de leur apporter un lieu, comme en startup, dans lequel ils auraient tous les éléments pour se lancer dans leur premier projet professionnel de manière complètement autonome et accompagné par des professionnels du milieu. Ce serait une sorte d’incubateur mais avec un angle beaucoup plus lié au parcours éducationnel des personnes éligibles de rentrer dans ce projet. Ce serait comme un studio test pour les étudiants.
Aller plus loin
En savoir plus sur Vincent Marty
Vincent Marty – Linkedin
Pixel Players – Site
Ceux qui ont été cités
ESL gaming – Site
Power Z – Site
Concert dans Fortnite – Epic Games – Youtube
Défilés virtuels de Gucci – Paris match
Ouverture de magasins virtuels de KFC dans animal crossing – Wave
Ubisoft – Site
Studio Darewise – Site – Linkedin
Dreamhack – Wikipédia
L’insep – Site
CEFIM – Site
Les jeux qui ont été cités
Starcraft 2 – Site – Wikipédia
Scavengers – Steam
Blood drift – Google Play
Valheim – Steam
Calico – Trictrac
Copenhagen – Tric trac
Magic – Wikipédia
Mario Kart – Wikipédia
Candy crush – Wikipédia
Fortcraft – Steam
Fortnite – Wikipédia
Animal crossing – Wikipédia
Solitaire – Jeux vidéo.com
Fifa – Steam
Call of Duty – Steam
Just dance – Steam – Wikipédia
Assassin’s creed – Steam
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