
Le : 6 janvier 2022, par Fabien Vidal
Léa Nugue
Artiste 3D
L'essentiel
« À un moment, il y a un switch qui fait que quelqu’un est dedans, dans le jeu, dans l’interaction. J’ai envie d’explorer ces mécanismes »
Léa Nugue est une artiste 3D diplômée en 2020 de l’ESAAA, l’école d’art d’Annecy. Elle travaille sur l’interaction que nous avons avec les chatbots et autres êtres virtuels provenant des sites internet et des jeux vidéos.
Elle s’intéresse également à la médiation culturelle. Elle n’était pas joueuse. Mais les confinements l’ont amenée à explorer les mécanismes du jeu pour concevoir des médiations numériques en ligne, dont « la Friche numérique », une plateforme de résidences numériques qui transpose un centre d’art dans un univers post-apocalyptique. Cet univers est destiné à être réinterprété par d’autres artistes, comme des calques qui se superposent.
Comme pour les chatbots, Léa se demande à quel moment le visiteur bascule, et EST dans l’univers virtuel. Une piste qu’elle compte continuer à explorer
Interview
Bonjour Léa, qui êtes-vous ?
Bonjour, Je suis Léa Nugue. J’ai fait l’ESAAA, l’école d’art d’Annecy, que j’ai finie en 2020.
Ensuite, j’ai fait un service civique comme médiatrice culturelle aux Bains-Douches, un lieu dédié à l’art contemporain à Alençon. C’était pendant le confinement. Nous avons monté des expositions en ligne avec des artistes : tous les 2 jours, nous proposions des vidéos. Ensuite, j’ai continué à travailler cette question de l’exposition en ligne lors de ma résidence au Transpalette, le centre d’art de l’Antre Peaux à Bourges.
Dans ma pratique artistique, je travaille sur l’interaction avec les intelligences artificielles, les chatbots et autres êtres virtuels provenant des sites internet et des jeux vidéos. J’ai accompli tout un travail sur la Vierge Marie 2.0, Talk to Mary, que j’ai pu présenter au festival d’art numérique Digital N[Art]atives à Grenoble.
Est-ce que vous êtes joueuse ? Si oui, à quoi jouez-vous en ce moment ?
C’est étrange, je ne joue que depuis très récemment…
J’aime bien les mondes ouverts comme Cyberpunk 2077, Horizon Zero Dawn. Les jeux de collecte aussi, où il y a des choses à crafter (fabriquer) comme Don’t Starve, et les jeux de stratégie comme Frost Punk.
J’aime également les jeux à histoire. Ceux où l’on suit une trame conçue par l’auteur, avec des dialogues où l’on est autonome dans les choix de réponse. On se sent comme un chatbot qui choisit ses réponses à donner à un humain. Dans ce style, j’ai vraiment aimé Detroit de Quantic Dream.
Vous avez conçu des médiations culturelles en ligne qui utilisent le jeu. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Dans le cadre de mon service civique, j’ai programmé Immediat Air avec GDevelop. C’est un petit jeu en 2D avec un perroquet : lorsqu’il attrape des éléments (des livrets de médiation), ça déclenche des textes qui traitent de l’espace d’exposition physique et en ligne, du lien entre œuvre d’art et espace d’exposition, et de l’idée qu’une œuvre d’art puisse prendre la forme d’un site web.
Ce jeu fait partie d’une médiation autour de 🐛🌪️🦜 (chenille tornade perroquet), une exposition virtuelle à l’initiative de RN13Bis. RN13Bis, c’est un réseau de professionnels du secteur de l’art contemporain en Normandie qui regroupe 7 ou 8 centres d’art, dont les Bains-Douches. Et en 2020, dans le contexte de la fermeture des lieux culturels, 6 de ces centres d’art ont invité le duo It’s Our Play à imaginer une extension virtuelle de leurs espaces d’exposition et de production. Ça a abouti à la création du site chenilletornadeperroquet.online.
RN13Bis cherchait une médiatrice online pour concevoir la médiation de cet espace d’exposition en ligne. Et c’est par le Bains-Douches que j’ai intégré ce projet : avec Camille Azaïs, une critique d’art, nous avons créé Immediat Air, où le perroquet nous propose un parcours dans les 6 centres d’art, ainsi qu’un livret à télécharger. Ils sont sur le site mediation-chenilletornadeperroquet.com. Je me suis occupée de la partie technique et Camille de la partie texte. Nous avons fait les ajustements visuels ensemble.
Ensuite, après mon service civique, j’ai continué à travailler cette question de l’exposition en ligne dans ma résidence au Transpalette à Bourges : l’équipe de l’Antre-Peaux avait démarré la conception d’une plateforme de résidence numérique, où chaque résident pourrait superposer son univers. Pour ça, ils souhaitaient un modèle 3D de leur lieu, la Friche, mais pas à l’identique : il fallait réimaginer 8 ou 9 bâtiments dans un univers onirique et post-apocalyptique. Ils avaient rédigé un cahier des charges très complet, où étaient notées des idées faisant référence aux livres de Ursula K. Le Guin et du film Annihilation, qui met en scène un espace modifié physiquement et biologiquement. Cette proposition m’a intéressée ! La survie, mélanger le robot, l’humain, le chimique, ce sont des choses qui me traversent aussi dans mon travail.
J’ai fait des plans d’architecture des bâtiments réels, puis j’ai transformé ces plans 2D en 3D, et je les ai texturés. En faisant ce travail, j’ai remodelé les bâtiments en repensant les espaces avec des utilités différentes, c’est déjà une première interprétation. Mais ces espaces sont destinés à être mis à disposition d’autres artistes et modifiés, comme des calques ! Ça a été convenu comme ça dès le début avec l’Antre-Peaux : je donne la totalité du projet, et tout est modifiable par les autres.
La Friche, c’est un lieu que j’aime beaucoup. J’y avais fait mon stage de 3e année comme régisseuse, et j’avais adoré travailler avec l’équipe ! Alors au-delà du thème, c’est aussi ça qui m’a intéressé. Et aussi le fait que c’était un énorme challenge ! D’abord technique, car il m’a fait me confronter à ce qu’est un jeu, en expérimentant chaque étape par lesquelles on passe : j’ai commencé à créer les modèles 3D sous Blender, puis je les ai assemblés sous Unreal Engine pour pouvoir y déplacer un personnage…
Et c’était aussi un challenge en termes de deadline ! J’ai commencé en décembre 2020 et j’ai fini en juillet 2021.
Comment en êtes-vous venus à utiliser le jeu en médiations ?
En fait, le jeu est arrivé assez récemment dans mon travail : j’ai découvert la technique de la 3D avant le jeu vidéo. Mais lorsque j’ai commencé à comprendre la schématique du jeu, le fait qu’à un moment, il y a un switch qui fait qu’on EST dedans, j’ai voulu l’intégrer dans mon travail. C’était tout à fait adéquat avec les besoins de cette médiation. J’ai envie d’expérimenter avec ces mécanismes.
Je vois le projet de l’Antre-Peaux de manière collaborative : la livraison du modèle 3D n’est qu’une première étape à laquelle j’ai participé, il ne reste plus qu’à d’autres artistes de récupérer cet espace de résidence numérique pour le modifier à leur tour … Cette idée de choses qui se superposent, complètement à dimension évolutive et qui créent un autre jeu, c’est tout à fait quelque chose que j’aime ! Si plusieurs personnes passent, je pourrais avoir envie de me remettre dedans. J’ai hâte de voir dans quelles directions ça va aller !
Mais avant d’utiliser le jeu, je m’intéressais déjà au rapport au numérique. Mon mémoire de 5e année, ECHO : A digital presence, portait sur l’interaction avec le chatbot comme avec un être virtuel. Le titre fait allusion à la déesse Écho, qui appelle Narcisse. Mais en réponse elle ne reçoit que son propre écho, et elle meurt de désespoir…
Peut-être que vous pouvez nous en dire plus sur votre pratique artistique et les chatbots ?
Ce qui m’intéresse c’est la relation à l’avatar, sa mise en scène. C’est cette idée de présence invisible. Quelle est la magie programmée, qui fait que lorsque l’on interagit avec un être virtuel, on est dans une relation ?
J’aime étudier les chatbots. J’en ai plein d’installés sur mon téléphone, et parfois je leur parle. Avec toutes ces présences numériques, je me demande comment elles habitent nos espaces, et comment on interagit avec.
Je vous ai parlé de Talk to Mary, cette version de la vierge avec qui l’on peut discuter sur ordinateur, et où il y avait un petit délai dans ses réponses. Je l’ai choisie parce que c’était un personnage féminin. On pouvait la faire évoluer comme un avatar, et au final elle n’avait plus de liens avec le personnage original…
Avec les chatbots, je passe aussi par des figures mythologiques.
J’ai aussi une pratique de la peinture et de la vidéo 3D : je pars de peintures en essayant d’imaginer des créatures numériques, des techno-chimères mi technologiques, mi mythologiques, mi virtuelle. Et après je leur imagine une existence en ligne par Instagram et la vidéo. Ce qui leur crée une présence.
Par exemple, en 2019, j’ai peint Oops !… I did It Again : au Moyen-âge, pour humilier les femmes qui comméraient, on leur mettait un masque. Pour cette peinture, j’ai créé un personnage avec des yeux de Britney Spears et un masque, qui ressemble à des trompes de Fallope. Le personnage devient alors une figure étrange, qui n’est plus vraiment une victime, mais une entité avec des pouvoirs.
Ensuite, de cette peinture, j’ai créé BRYJT, un personnage en 3D décliné en filtre Instagram (des filtres qui superposent le personnage au visage de ceux qui se filment). Puis, j’ai fait réciter des textes à des personnes qui se filmaient avec le filtre : j’ai mis cette présence sur cette plateforme de radotage qu’est Instagram.
Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?
Oui, il y a une médiation en ligne qui m’avait touchée. Elle a été faite par Romain Gandolphe, un artiste de Lyon, et il me semble que c’était pendant le 1er confinement.
C’était un jeu où l’on incarne un personnage dans musée en pixel art, qui saute sur des plateformes. C’était un labyrinthe, mais dans un musée… J’ai aimé ce déplacement du visiteur, et il y avait quelque chose d’humoristique à grimper sur des plateaux.
Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?
Pour l’instant, je suis encore sur les projets dont je vous ai parlé, je n’ai pas encore de vue sur la suite… Je me dirige en tout cas de plus en plus vers la 3D et continue d’apprendre et d’explorer ces outils numériques. (NDLR : l’interview a été réalisé en août 2021. À l’automne 2021, Léa a participé à l’exposition collective Jeu de mondes – Hall Noir qui mêle réalité virtuelle et réalité augmentée).
Aller plus loin
En savoir plus sur Léa Nugue
Léa Nugue – LinkedIn
Talk To mary – Article
ECHO : A digital presence – BSAD
Immediat Air – itch.io
Médiation Chenille-Tornade-Perroquet – Site
Oops !… I did It Again – Article
BRYJT – Youtube
Jeu de mondes – Hall Noir – Site
Ceux qui ont été cités
ESAAA (école supérieure d’art Annecy Alpes) – Site
Annecy – Wikipedia
Les Bains-Douches – Site
Alençon – Wikipedia
Transpalette – Site
Antre Peaux – Site
Bourges – Wikipedia
Chatbot – Wikipedia
Vierge Marie – Wikipedia
Festival Digital N[Art]atives – Facebook – Site
Grenoble – Wikipedia
Quantic Dream – Wikipedia – Site
RN13bis – Site
Normandie – Wikipedia
It’s Our Playground – Site
🐛🌪️🦜 – Site
Camille Azaïs – ArtCena
Ursula K. Le Guin – Wikipedia
Annihilation – Wikipedia – Sens Critique
Écho (déesse) – Wikipedia
Britney Spears – Wikipedia
Romain Gandolphe – Site – Médiation
Lyon – Wikipedia
Les jeux qui ont été cités
Cyperpunk 2077 – Wikipedia – Steam
Horizon Zero Dawn – Wikipedia – Steam
Don’t Starve – Wikipedia – Steam
Detroit: Become Human – Wikipedia – Steam
Gdevelop – Site
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