Crédit photo : Hélène Delpeyroux

Le : 21 décembre 2021, par Fabien Vidal

Hélène Delpeyroux

Chargée de mission dynamique citoyenne à Villes au Carré

L'essentiel

« Le coffret, c’est une des voies pour affirmer la légitimité du conseil citoyen.
Mais ce n’est pas la seule »

Hélène Delpeyroux est chargée de mission à Villes au Carré, un centre de ressource qui accompagne les collectivités dans la mise en œuvre des politiques de la ville. Des politiques qui visent à réduire les inégalités en milieu urbain.

Une de ses missions est d’aider les habitants et les professionnels sur le fonctionnement et l’animation des conseils citoyens. Ce qui est complexe, car ils sont au croisement de nombreuses politiques publiques : scolarité, développement économique, logement… Et les habitants peuvent se sentir dépassés, ou pas assez légitimes.

Alors, avec ses collègues, elles ont développé Avec Nous !, un coffret de jeu qui, s’il ne remplace pas l’animation au long terme, aide les habitants à se saisir du conseil citoyen et à affirmer leur légitimité.

Interview

Bonjour Hélène, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Hélène Delpeyroux. Je travaille chez Villes au Carré depuis 5 ans.

Villes au Carré, c’est un centre de ressource et d’accompagnement des politiques publiques. Nos adhérents sont pour une grande partie des collectivités de la région. Nous sommes surtout sur de l’animation de réseau, et nous pouvons faire des missions expérimentales sur mesure aux collectivités qui sont adhérentes.

Nous nous sommes surtout construit comme centre de ressource autour des politiques de la ville. Ce sont des politiques qui visent à réduire les inégalités dans les quartiers les plus pauvres en milieu urbain. Elles énoncent que pour les réduire, il faut mettre autour de la table tous ceux qui mettent en œuvre des politiques publiques : le logement social, la réussite éducative, l’insertion, le développement économique… Ça permet d’écrire et d’animer un contrat de Ville, et c’est complètement transversal.

Depuis la loi Lamy en 2014, il y a une nouvelle instance, les conseils citoyens. Ils sont nés d’un bilan : il y a eu beaucoup de moyens mis dans le dur, dans des bâtiments, des choses qui se voient… Mais les choses n’ont pas vraiment bougé et les gens sont toujours aussi pauvres. Une des lectures est que les solutions sont pensées par des personnes hors sol. Alors pour faire mieux, il faut que les solutions soient pensées par les habitants et par les acteurs de terrain. C’est l’objectif des conseils citoyens.

De mon côté, je travaillais sur les démocraties locales à Dunkerque, mais je cherchais à revenir à Tours. Je savais qu’il y avait ce sujet sur les conseils citoyens qui était en train d’émerger, alors j’ai toqué à la porte de Villes au Carré, pour savoir s’ils avaient connaissance d’opportunités. Et justement ! Ils avaient cette nouvelle mission pour accompagner la naissance de ces conseils citoyens en région.

 

Êtes-vous joueuse ? Et si oui, à quoi jouez-vous en ce moment ?

Ah oui, je joue avec mon fils. Je ne sais pas si vous avez déjà joué au diplodocus et au tyrannosaure le matin. C’est génial ! C’est notre transcription familiale d’un livre, où le tyrannosaure veut manger le diplodocus 😉

Mais je ne suis pas du tout gameuse : je ne suis pas forcément la personne qui va mettre le jeu sur la table. Et je ne suis pas du tout dans la compétition : dès qu’il faut gagner, ça me gonfle.

Par contre, j’adore qu’on me fasse découvrir des univers de jeu. J’adore la convivialité, les blagues qu’on fait autour de la table, les jeux de posture. Avec le jeu, il y a beaucoup de joie ! Celle de jouer avec les enfants, c’est le bonheur total. C’est contagieux… C’est complètement grisant… Ça nous reconnecte complètement et l’on redevient enfant !

 

Utilisez-vous le jeu dans votre mission auprès des conseils citoyens ?

Effectivement, au sein de Villes au Carré nous avons créé le coffret de Jeux Avec Nous ! pour aider les membres des conseils citoyens à s’approprier leur rôle. Je l’ai beaucoup animé… Nous avons distribué des versions en dur à 20 autres centres de ressources politique de la ville, et il est téléchargeable.

À l’origine, ce projet est né d’une demande de l’agglomération de Tours et de la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS 37) pour former les membres des conseils citoyens.

Pour comprendre la difficulté de cette formation, il faut prendre conscience que les conseils citoyens réunissent des habitants qui sont bénévoles et qui n’ont que quelques heures à donner. Mais on leur demande de saisir un sujet complexe, qui est au croisement de chaque politique publique. Déjà, pour un professionnel, il faut 1 an pour connaître la culture de tous les services ! Et à ça s’ajoutent des acronymes horribles, des noms qui changent… Les habitants ont donc besoin d’être accompagnés.

Avec Cathy Savourey du cabinet d’urbanisme A.U.C.I., et Cécile Dublanche, la directrice de Villes au Carré, nous avons construit cette journée, avec différentes animations. La première formation a eu lieu à Tours début 2017. Et nous avons trouvé que les animations fonctionnaient bien ! Alors, nous nous sommes dit que ce serait bien si chaque conseil citoyen pouvait en avoir une copie. Nous avons demandé une subvention CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires) pour en faire un coffret jeu et le distribuer.

Pour le mettre en forme, nous avons travaillé avec Roc Édition (aujourd’hui le Cercle Digital). Ça a été un gros travail de conception, avec un mois et demi à temps plein ! Il y a aussi eu tout le temps de maturation : nous avons accompagné beaucoup de conseils citoyens en utilisant un ou plusieurs modules, et nous les avons beaucoup adaptés. Le coffret est sorti en 2018 à l’occasion des quarante ans de la politique de la ville.

 

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce coffret ? Que contient-il ?

Dans sa forme finale, le coffret contient 3 animations. Elles peuvent être utilisées à différents moments de vie du conseil citoyen : soit à son démarrage, soit lorsque de nouveaux membres arrivent, ou encore lorsqu’une personne ayant assez de recul (animateur, délégué du préfet…) identifie qu’il y a un besoin de formation.

Les animations sont « Qui fait quoi », un jeu de 8 familles pour comprendre le rôle de chaque acteur de la politique de la ville, « Trouve ta place », une animation pour aider les membres à définir le rôle qu’ils veulent incarner, et « Dans la boucle ».

« Dans la boucle », c’est l’animation qui ressemble le moins à un jeu… Et elle vient d’une grosse colère !

La loi précise qu’il faut co-construire les contrats de ville, et que le conseil citoyen participe au comité de pilotage. Mais pour une agglomération ou une métropole, c’est tout de suite une réunion solennelle avec 40 professionnels et 10 membres de conseils différents, présidée par le ou la préfet·e et le ou la président·e de l’intercommunalité. C’est le moment où l’on valide les décisions qui ont été co-construites en amont.

Or, la première année, les membres d’un conseil n’avaient pas été invités à ces phases préalables. Ils se sont retrouvés dans leurs petits souliers à un comité où tout était déjà validé ! C’est ce qui a provoqué cette grosse colère !

Nous avons donc conçu cette animation “Dans la boucle”, pour redonner du relief à toutes les étapes où le projet se fait, et où les conseillers citoyens peuvent légitimement avoir une place. On y raconte la démarche projet, pour que les membres du conseil puissent dire qu’ils souhaitent être associés à certaines étapes cruciales pour co-construire.

Le message que nous faisons passer est clair : « Par la loi, votre place est légitime. C’est une situation inédite. Alors, prenez-la ! ».

 

Alors, quels sont vos retours d’expérience sur ce coffret ?

Côté animateur, c’est un travail de préparation important. Mais il a été utilisé : nous avons distribué 40 boites, et il a été téléchargé plus de 150 fois. J’ai aussi passé beaucoup de temps au téléphone pour accompagner des animateurs de conseils citoyens et d’autres centres de ressources.

Et leurs retours sont positifs ! Les animateurs voient que ça crée des temps conviviaux, et ils ont la sensation qu’à chaque fois le groupe gagne en maturité. Les personnes en sortent plus fortes !

Côté habitants, ils croisent systématiquement leur savoir. Ce n’est pas que le coffret contient en soi un savoir génial. Mais la richesse tient dans les échanges. C’est pourquoi il doit se jouer avec les bons interlocuteurs, pour que toutes les réponses, on les trouve ! Pour se repérer, mais aussi pour agir.

Ainsi, le coffret, c’est une des voies pour affirmer la légitimité du conseil citoyen. Mais il n’y a pas que le jeu : il faut aussi une animation de réseau de long terme.

 

Comment en êtes-vous venus à utiliser le jeu dans vos formations ?

Je ne sais plus… On s’y est retrouvées toutes les 3.

Cathy aimait manier des cartes de photolangage. Cécile ramène souvent des animations un peu ludiques : à l’époque, sa fille lui rapportait plein de choses rigolotes de l’univers du scoutisme.

Et moi, j’ai travaillé au Pôle des Arts urbains sur les artistes et l’urbanisme et au centre national des Arts de la Rue Le Citron Jaune. J’ai fait un master de recherche « De la ville réelle à la ville rêvée » sur l’art et le jeu comme mécanismes pour révéler la vision de la ville. Par exemple, je comparais des « disorientation games » : on se perdait dans la ville, il fallait se retrouver…

J’ai travaillé aussi avec Polimorph, qui a conçu Tabula Rosa, « un outil de design collectif conçu comme un jeu de table urbain ».

 

Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?

Là, je suis encore sous le choc et complètement activée par le jeu Inventons nos vies bas carbone inventé par Gildas et Claire Veret, qui sont co-fondateurs du mouvement Résistance Climatique. C’était dans le cadre de la COP régionale. Le matin nous avions fait la Fresque du Climat, ça m’avait beaucoup touchée et déprimée. On est sur le constat et les risques.

Et juste après, nous avons joué à ce jeu qui vise à nous donner des leviers pour l’action individuelle : on s’incarne soi-même, aujourd’hui, soit des Français qui en moyenne utilisent 12 tonnes de carbone par an.  La question est « comment modifier des actions de sa vie pour réduire les impacts ? », pour mener une vie compatible avec la vie. Car si l’on veut respecter les accords de Paris, pour contenir le réchauffement climatique en deçà de 2 degrés, il faudrait que chacun, nous réduisions notre consommation à 2 tonnes.

J’étais dans le groupe « mobilité ». Nous étions 4 ou 5, avec des vies différentes : moi je vis à côté du tram, une autre personne vivait à en campagne, à quarante kilomètres de la première gare. Et il fallait nous mettre d’accord pour proposer des choses réalistes. Nous avons réussi, mais j’avais l’impression qu’on s’était coupé un bras !

Et lorsque nous avons mis en commun nos propositions avec les autres groupes thématiques (alimentation, logement, consommation, …), j’ai vu que tout le monde s’était aussi coupé les bras… Ça permet de comprendre l’ampleur de chaque changement. Mais aussi ça aide à réaliser que certaines actions ont un faible impact par rapport à d’autres. Par exemple, ce n’est pas la peine de faire plein de compromis en passant au zéro déchet, si à côté on prend l’avion régulièrement…

Mais c’est un jeu motivant, car on est en groupe ! Ça invite à s’activer, à voir l’urgence. C’est un jeu qui donne des repères, très complémentaire avec la fresque du climat.

 

Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?

Je ne sais pas pourquoi, mais je me projette dans une école. Il y a peut-être quelque chose à embarquer avec des enfants, avec des parents… À redonner pleinement sa place à l’école dans les quartiers, avec les connexions qui peuvent se faire. Vis-à-vis des parents, vis-à-vis d’un futur désirable. Mais qu’est-ce que ce serait ?

 

Aller plus loin

En savoir plus sur Hélène Delpeyroux

Hélène Delpeyroux – LinkedIn

Ville au Carré – Site

Avec Nous ! – Site

De la ville réelle à la ville rêvée (mémoire) – Pass Territoire

 

Ceux qui ont été cités

Politique de la ville – Wikipedia

Contrat de Ville – Wikipedia

Loi Lamy – Site CGET

Les Conseils Citoyens – Wikipedia

Dunkerque – WikipediaSite

Tours Métropole Val de Loire – WikipediaSite

Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS 37) – WikipediaSite

Cathy Savourey – LinkedIn

CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires) – WikipediaSite

Cercle Digital –  Site

Cécile Dublanche – LinkedIn

Vierzon – WikipediaSite

Photolangage – Wikipedia

Pôle des arts urbains (POLAU) – Site

Le Citron Jaune – Site

Polimorph – Article

Gildas Veret – Linkedin

Claire Veret – LinkedIn

Résistance Climatique – Site

Les accords de Paris sur le climat – Wikipedia

 

Les jeux qui ont été cités

Jeu des 7 familles – WikipediaTric Trac

Inventons nos vies bas carbone – Site

La fresque du climat – Wikipedia Site

Tabula Rosa – ArtPlan