Grégoire Latry
Crédit photo : Grégoire Latry

Le : 6 mars 2021, par Fabien Vidal

Grégoire Latry

Psychologue clinicien libéral, et membre de l’association Hébé

L'essentiel

« Les adolescents n’arrêtent pas de parler du jeu ! On ne peut pas faire sans leur objet culturel, si on veut être en lien avec eux. »

Grégoire Latry est psychologue clinicien. Depuis 2010, il explore avec un groupe de confrères l’utilisation du jeu dans l’accompagnement et le soin des adolescents. Il y voit un grand intérêt, mais aussi des limites. Et surtout, ce n’est pas une obligation.

Il s’intéresse aussi aux média sociaux.

Interview

Bonjour Grégoire, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Grégoire Latry, psychologue clinicien et membre de l’association Hébé.

Pendant 8 ans, j’ai travaillé en psychiatrie adulte. Mais depuis le mois d’aout (2021), je me consacre entièrement à mon cabinet en libéral. J’y accueille des enfants, des adolescents et des adultes.

 

Vous êtes joueur je crois. À quoi jouez-vous en ce moment ?

Effectivement, j’ai été un gros joueur en ligne, mais c’est au début de mes études que j’ai peu à peu arrêté de jouer.

Mon jeu du moment, c’est Runeterra, un jeu inspiré de League of Legends. J’aime bien, car on n’est pas obligé d’y aller tous les jours et ça ne prend pas trop de temps. J’apprécie surtout le mécanisme qui force à choisir ses cartes parmi un choix limité : ça oblige à réfléchir et faire avec ce qu’on a pour construire sa stratégie.

J’aime aussi les jeux indés comme Crying Suns.

 

Utilisez-vous le jeu dans vos médiations ?

Effectivement, c’est un support que je peux utiliser. Au début, je le proposais surtout à des adolescents en rupture de lien (déscolarisés et dans le mutisme). Ce sont des jeunes qui ont des difficultés à prendre la parole, alors le jeu en séance permet de refroidir la confrontation avec le professionnel. Il peut aussi leur donner un support auquel s’appuyer pour se représenter leur monde intérieur et parler de conflits psychiques dont ils n’ont pas forcément conscience.

Plus tard, j’ai ouvert le jeu aux enfants (à partir de 6 ou 7 ans), mais en étant moins prescriptif qu’avec les adolescents. Avec les adolescents, c’est moi qui choisis le jeu. Alors que je permets aux enfants de faire un choix dans une liste qui me semble intéressant, par rapport à ce qu’ils m’ont dit.

Mais cet usage avec les enfants m’a amené à réfléchir. Je me rends compte que faire jouer des enfants en séance n’est pas la même chose qu’avec des adolescents : il leur permet parfois d’éviter de parler de certaines choses, ce qui perturbe la thérapie. Le cadre d’usage ne peut pas être le même ! Alors j’ai encore besoin d’y réfléchir pour lui donner plus de portée…

On parle de jeu, mais ce n’est qu’un outil que je peux proposer, et ce n’est pas mon activité principale. Par exemple, actuellement (en février 2021, après 1 an de restrictions liées à la COVID) je n’ai aucune médiation avec des jeux. C’est que les adolescents qui sont en rupture de lien ne sont plus amenés chez les psys. Car quand, c’est la société qui est en rupture de lien, ça devient la normalité… Mais je m’inquiète pour eux.

 

Comment en êtes-vous venus à utiliser le jeu dans vos médiations thérapeutiques ?

Les adolescents n’arrêtent pas de parler du jeu ! On ne peut pas faire sans leur objet culturel, si on veut être en lien avec eux.

J’ai commencé à penser à l’utilisation du jeu vidéo lors de mes études en 2010. À ce moment j’étais un très gros joueur de jeux de rôle en ligne. Et j’avais envie de sortir de cette représentation du jeu en ligne comme quelque chose de dangereux, où tous les joueurs allaient devenir des “Toxicomanes du jeu”. Je me suis demandé ce qui motivait les joueurs à jouer à ce point ; au point où, c’est vrai, il pouvait y avoir des effets sur la vie sociale.

J’ai donc fait un mémoire sur les guildes dans World of Warcraft (un jeu en ligne) qui peuvent réunir jusqu’à 40 joueurs dans un raid (une aventure collective avec un combat final contre un monstre). Et j’ai fait le parallèle entre les raids et les mouvements de foule tels que décrits par Freud. J’y ai testé des hypothèses. J’ai validé que certains mécanismes étaient identiques, mais pas tous.

Puis à Paris, j’ai rencontré un groupe de psychologues : Arnaud Sylla, Vincent Le Corre, Mehdi Debabbabi-Zourgani, Clémence Moreau, Jean Christophe Dardart… Ensemble nous avons monté le groupe GTA : groupe de travail analytique sur les mondes numériques. Bien sûr, ce n’est pas un hasard si ça reprend le nom d’un jeu ! L’idée était de produire des écrits et de réfléchir sur le jeu dans notre pratique de soin. Le groupe a tenu quelques années, avec différents axes de recherches qui ont été produits, puis il s’est éteint au fil des années…

En 2012, je suis arrivé à Tours. Et avec Arnaud Sylla, nous avons recommencé à réfléchir sur des ateliers utilisant le jeu vidéo. Nous avons mis 1 an pour poser un cadre pratique pour créer un groupe d’adolescents pouvant aussi recevoir des ados mutiques. Habituellement, les deux ne vont pas forcément ensemble. En tout, nous avons accueilli 3 groupes d’adolescents au Centre ORESTE, avec 10 séances minimum pour chacun à 1 mois d’intervalle. Avec chaque groupe, nous avons joué à un point & click, mais pas le même (Monkey Island, puis Syberia) pour nous adapter aux problématiques des ados. Les jeux ont permis de traiter beaucoup de choses. Il a notamment permis à certains d’exprimer ce qu’ils vivaient, mais n’arrivait pas à dire, ou à d’autres habituellement en retrait, à prendre la parole et être actifs. Certains collègues qui suivaient ces adolescents ont vu la possibilité d’en faire une reprise individuelle en séance.

 

Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?

Ah ! Sans aucun doute je peux citer les ElefantCat. Je trouve leur travail très intéressant. La façon dont ils donnent tous les apparats du jeu à leur création, mais ça n’en est pas ! Leurs œuvres m’interrogent. Par exemple Destkop – apparition du membre fantôme, c’est un jeu en réalité virtuelle qui fait disparaitre un objet dans le monde virtuel, alors qu’il n’existe pas dans le monde réel. C’est-à-dire qu’ils font exister un objet qui n’existe pas dans le monde réel en ne le faisant pas exister dans le monde virtuel. Là, j’y vois un parallèle fort avec les réseaux sociaux, ou certaines thématiques prennent une existence très forte dans un monde virtuel, alors qu’elles n’ont que très peu de prise dans le monde social.

Il y a aussi le jeu indépendant This War of Mine qui m’a beaucoup touché. Il raconte la guerre, non pas par ceux qui la font, mais par ceux qui la vivent. Le joueur doit faire des choix très affectifs qui influent comment il meurt, comment il s’en sort, ou comment il cause la mort des autres… C’est ce que j’aime dans le jeu indé : la manière dont les auteurs transcrivent une expérience.

 

Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?

Pour être honnête, le jeu n’est plus mon champ actuel. En fait, dernièrement j’ai plus travaillé sur les réseaux sociaux.

Mais j’aimerais quand même discuter avec ceux qui créent des jeux ! Savoir les questions que ça leur pose. Quelle critique ils font de leur oeuvre. Leur demander “qu’est-ce que vous voulez dire ?”

J’aimerais rencontrer des joueurs, des streamers, et parler du jeu où la dimension politique a une place, et n’est pas édulcorée comme dans les productions commerciales ou les serious games.

Aller plus loin

 

En savoir plus sur Grégoire

Le cabinet de Grégoire Latry

Article Notes pour une métapsychologie du jeu vidéo comme objet de médiation thérapeutique, Grégoire Latry et Vincent Le Corre, dans L’adolescent entre marge, art et culture (2013), pages 175 à 191, érès

Échange filmé Le jeu vidéo comme outil de médiation, objet culturel et objet de soin, Grégoire Latry et Arnaud Sylla, Upopi (2019)

Échange filmé Panorama des jeux vidéo et différences d’usages en fonction des âges : du jeu vidéo au Je-vis-des-hauts, Grégoire Latry et Arnaud Sylla, Upopi (2019)

 

Ceux qui ont été cités

L’association Hébé

Vincent Le Corre

Mehdi Debabbi-Zourgani

Clémence Moreau

Le collectif d’artistes les ElefantCat

Le centre Oreste

 

Les jeux qui ont été cités

Runeterra – wikipédiasite

League of Legends – wikipédiasite

Crying suns – steam

World of Warcraft – wikipediasite

GTA – wikipediasteam

This War of Mine – wikipedia steam

Monkey Island – wikipediasteam

Syberia – wikipediasteam