
Le : 29 septembre 2021, par Fabien Vidal
François Léognany
Président d’Arkham Studio – Agence de gamification
L'essentiel
« La question était de savoir si l’expérience allait changer l’intérêt du manager pour l’accidentologie. Si le jeu fait ça, c’est gagné ! »
François Léognany est le cofondateur et président d’Arkham Studio. Autrefois, son entreprise était spécialisée dans l’audiovisuel, mais le marché était devenu difficile… En rencontrant Edwin Morizet, ils ont découvert un mot qu’ils ont trouvé très laid, « gamification ». Mais aussi que leurs décennies de passion du jeu les rendaient légitimes pour en faire. Alors, ils ont décidé d’y aller à fond.
Ils étaient 3 en 2018, ils sont maintenant 15. Mais toujours en se développant autour de l’humain et en faisant attention à ne pas aller plus vite que la musique. Et François reste attentif à ne pas promettre l’impossible. Si le jeu peut apporter du plaisir et venir décoincer des problématiques, il ne fait pas tout pour autant : « Ce n’est pas lui qui va vous apprendre à devenir technicien nucléaire ».
Mais François ne s’arrête pas là. Avec des associés, il sont en train de monter « Arkham Society », une maison d’édition dont le premier jeu de société vient de sortir : « Don’t Feed the Troll »
Interview
Bonjour M. Léognany, qui êtes-vous ?
Bonjour, je suis François Leognany, le président et cofondateur d’Arkham Studio, une agence de gamification.
La gamification, c’est l’inclusion de mécaniques de jeu et d’interactivité dans les outils professionnels. À la base, nous ne faisions que de l’audiovisuel. Mais aujourd’hui tout le monde a à disposition les outils pour monter et pour filmer, alors c’est devenu plus difficile à vendre… Au fur et à mesure, nous sommes allés vers autre chose. À un moment, nous avons intégré Edwin Morizet dans l’équipe qui avait aussi des compétences en création de jeu. Et petit à petit, nous nous sommes rendu compte que nous avions des choses à apporter sur la gamification.
De la gamification… Est-ce que ça veut dire que vous êtes joueur ?
Je ne suis pas un grand utilisateur de Serious Game.
J’ai surtout des références de jeux grand public. En ce moment, je joue à The Crew (un jeu de cartes coopératif), Les demeures de l’épouvante (un jeu coopératif d’horreur et d’enquête), et Licorne dans les nuages (un jeu pour enfants de l’éditeur Haba).
Et à Don’t Feed the Troll biensûr ! (NDLR : un jeu de société en train d’être édité par Arkham Society).
Vous faites de la gamification. Ça veut dire que vous créez des jeux pour vos clients ?
Oui, on peut créer du jeu. Mais on crée surtout de la gamification.
Ou c’est encore mieux de dire que nous intégrons de l’interactivité et de la mécanique de jeu dans un outil, avec l’objectif est de générer de l’engagement. Parfois, le jeu est très limité. La frontière est ténue, mais nous ne créons pas toujours du jeu.
L’attendu du client n’est pas « le ludique », mais c’est de répondre à un problème. Alors nous devons nous réfréner pour ne pas mettre tout ce qui nous fait envie, pour y répondre ! Par exemple, nous avons créé Risk Hour, un jeu de société pour la CARSAT (la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail). Lors de la conception, la question était de savoir si l’expérience allait changer l’intérêt du manager pour l’accidentologie. Si le jeu fait ça, c’est gagné !
Le jeu peut venir décoincer des problématiques, mais il ne fait pas tout : ce n’est pas un Serious Game qui va vous apprendre à devenir joueur de piano ou technicien nucléaire. Il ne faut pas dire que le jeu va former, sinon on va générer de la déception… Par contre, il va décoincer des choses, donner de la curiosité. C’est un outil plutôt humain et collaboratif.
Nous avons 2 styles de clients :
Il y a celui qui est « utilisateur » du jeu. Il a une problématique en interne ou en externe, et il faut y répondre. Et il y a celui qui « trouve ça génial ». Il a envie de jeu mais il a des craintes, qui sont normales : est-ce qu’on ne va pas le prendre pour un débile avec des infantilités ?
Dans les 2 cas, il faut que l’utilisateur final ait pris du plaisir à jouer, et qu’il en ressorte en ayant rempli les objectifs qui ont été fixés.
Avez-vous quelques conseils sur la manière de créer ces jeux ?
Sur la manière de le construire, il ne faut pas de mécanisme complexe. Le joueur n’est pas là pour apprendre des règles du jeu : il faut qu’il puisse ouvrir la boîte et jouer.
Mais un premier travers serait de faire un Trivial Pursuit : ce n’est pas un jeu, c’est un quiz… C’est nul, car ça ne génère pas d’engagement. Alors il faut trouver un truc ludique, une mécanique qui apporte une plus-value dans l’apprentissage et qui ait du sens, sans que ce ne soit complexe.
Faire de la gamification, c’est un gros travail d’expérience utilisateur. Et les jeux pour enfant peuvent nous aider, on peut y prendre des mécaniques, mais il faut changer le décorum, transposer cette mécanique dans l’univers graphique pour adulte. Ce qui est important, c’est que l’utilisateur ouvre la boite et sache jouer.
Comment en êtes-vous venus à faire de la gamification ?
Comment est-ce nous en sommes arrivés là ? C’est le fait de ne pas être tout seul, d’avoir créé une émulation.
Avoir une passion depuis plus de 20 ans, ça a généré des compétences dans le jeu… Alors que nous étions encore spécialisés dans l’audiovisuel, nous avons reçu des demandes bizarres de nos clients.
Pour un autre projet, nous avions embauché Edwin Morizet comme motion designer. Ensemble nous avons cherché sur internet, et nous avons vu ce mot laid, « Gamification ». Mais nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à développer.
Alors, nous avons fait un peu tout. Et nous nous sommes rendu compte que nous étions capables de faire. Et même que nous avions créé une association de compétences rares ! Alors nous avons décidé d’y aller à fond.
Nous avons fait le pari de croire en l’humain et de recruter avant d’être surchargés, nous avons toujours essayé d’embaucher pour rentrer sur ce marché. Nous avons pris Tristan Boschet comme alternant qui a monté toute la partie gamification, nous avons refait le site, nous faisons de la veille… En façade nous ne faisons plus que ça.
Nous avons travaillé pour des délégations régionales de grands groupes qui nous ont emmenés, et nous nous sommes très vite rendu compte que nous pouvions être présents nationalement… C’est allé assez vite pour devenir crédible auprès de très grands groupes. En effectif, en 2018 nous étions 3. Fin 2019, c’était 6 ou 7. Et en 2021, nous sommes 15.
Mais attention, ce n’est pas un success-story à la startup ! Je déteste les startups…
Nous prenons des risques en développement, mais autour de l’humain. Nous n’allons pas plus vite que la musique. Nous ne sommes pas en recherche de conquête, mais nous avançons parce que nous sommes passionnés par ce que nous faisons.
Avec Business France nous nous développons à l’international, mais nous y allons par kiff, nous suivons le développement de l’activité là où il faut. Nous faisons plus de l’artisanat, nous fabriquons sur mesure.
Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?
Nous faisons déjà trop de projets !
Nous avons déjà monté Arkham Society, une maison de jeu grand public. C’est avec cette société que nous éditons Don’t Feed the Troll. Avec des auteurs et mes 4 enfants, nous nous découvrons une passion de game design. Ils adorent ! Nous avons un 2e jeu en cours. Ainsi que des demandes d’édition à titre professionnel.
Dans la gamification, je donne aussi des formations de game design (par exemple à l’ANACT) où je me découvre des compétences. J’avais dans l’idée que sans diplôme, je n’étais pas légitime…
Dans ces formations mon message est simple : il faut jouer et décortiquer. « Je vous donne 2 demi-journées de game design. Mais après, allez-y, jouez ».
Aller plus loin
En savoir plus sur François Léognany
François Leognany – LinkedIn
Arkham Studio – Site
Arkham Society – Site
Ceux qui ont été cités
Edwin Morizet – LinkedIn
CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) – Wikipedia – Site
Tristan Boschet – LinkedIn
Business France – Wikipedia – Site
ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) – Wikipedia – Site
Les jeux qui ont été cités
The Crew – Wikipedia – Tric Trac
Les demeures de l’épouvante – Tric Trac
Licornes dans les nuages – Tric Trac
Don’t feed the troll – Site