
Le : 30 décembre 2021, par Anna Cotard
François Hotton
Chargé d’évènementiel dans le domaine du jeu et co-gérant du Cubrik.
L'essentiel
“Le jeu, c’est vraiment un prétexte pour passer un bon moment ensemble”
François Hotton a plusieurs casquettes professionnelles. Il est à la fois chargé d’évènementiel spécialisé dans le domaine du jeu de société, et le co-gérant d’un bar/restaurant à jeux situé dans le vieux Tours : le Cubrik.
François était un gros joueur de jeu de société, mais un jour, son frère a arrêté de jouer avec lui parce que François jouait pour gagner… Ça lui a fait beaucoup de peine. Alors il a tenté de l’inciter à jouer par tous les moyens et s’est découvert une fascination pour être le facilitateur de jeu ! Depuis, il aime partager son amour pour le jeu de société en faisant jouer les gens entre eux tant dans ses projets professionnels (Cubrik, festivals de jeux), que dans sa vie familiale, et par son engagement associatif notamment dans la Maison des Jeux de Touraine. Il croit aussi bien en la vocation sociale du jeu, tant entre amis, entre inconnus, que dans les cours d’école, qu’à l’ouverture culturelle que permet le jeu… C’est pourquoi, l’absence de reconnaissance du jeu comme objet culturel, l’attriste.
François voit également le jeu comme un objet d’étude, dont l’histoire nous permet de comprendre l’histoire des civilisations…
Interview
Bonjour François, qui êtes-vous ?
Bonjour, je suis François Hotton, un papa de 43 ans aux multiples casquettes professionnelles 😊 Je suis à la fois porteur de projets, chargé d’évènementiel, spécialisé dans le milieu du jeu de société, et également, l’un des associés et gérant du Cubrik, un bar/restaurant à jeux dans le vieux Tours. Le Cubrik était un défi personnel. Avec Sylvain Petitpretre (mon associé pour ce projet), nous voulions créer un lieu de proximité à tous les niveaux. Et c’est ce qu’on fait ! Nous proposons des produits locaux et surtout, nous permettons aux gens de se rencontrer autour du jeu. C’est un vrai plaisir que ça marche et que ça plaise !
J’aime faire jouer les gens ! C’est la joie de jouer et d’être ensemble qui nous réunis. J’ai besoin de ça dans ma vie professionnelle. J’aime faire jouer pour les sensations de bonheur que ça procure aux gens !
Associativement, je me suis également engagé dans la cause du jeu ! J’ai créé en octobre 2006, la Maison des Jeux de Touraine. L’objectif était de promouvoir la pratique ludique, mais pour en fait, tout ce qu’il y a derrière, c’est-à-dire créer des bibliothèques, des manifestations, des jeux du monde.
J’ai beaucoup donné dans l’associatif, mais aujourd’hui, techniquement, j’ai arrêté.
Est-ce que vous êtes un joueur ?
J’ai beaucoup de plaisir à jouer aux jeux de société ! Je joue pour apprendre et pouvoir transmettre. Donc par ma curiosité et mon intérêt pour le jeu, je dois en tester 300 à 500 sur les 1500 qui sortent chaque année ! Mais du coup, c’est vrai qu’avec mes amis et avec ma femme, on m’interdit certains jeux comme Carcassonne… J’y ai tellement joué que je connais la composition exacte du jeu, par cœur. Or, comme c’est un jeu de stratégie, je peux adapter mes choix en fonction de ce qui est déjà sorti de la pioche. Ils n’aiment pas ça…
Je joue différemment en fonction des gens avec qui je suis. Je n’ai pas UNE, mais DES manières de jouer. Et la meilleure partie, c’est quand le plaisir est partagé. Ainsi, j’aime aussi bien jouer avec ma fille de 3 ans et demi à « Mon Premier Verger », ou encore « Bata-Waf » (même si, pour elle, à cet âge là, la défaite personnelle est encore compliquée à accepter, mais ça vient), qu’avec mon cercle de gros joueurs, à des jeux de ressources avec en prime des enjeux de territoire comme « Civilization », ou encore « Eclipse » (notre coup de cœur du moment).
J’aime les parties avec du challenge tout comme celles qui amènent une bonne ambiance autour de la table. Un jeu qui me fait mourir de rire à l’heure actuelle et que j’adore animer, c’est Top Ten. C’est un jeu de partage basé sur de la culture générale mais hyper accessible. Ce jeu d’ambiance apporte une vraie dose de fun !
La présence du jeu est la particularité de votre bar. Pourquoi avoir fait ce bar à jeux ?
Au Cubrik, l’avantage du jeu est qu’il permet en début de soirée de détendre l’atmosphère, d’éviter les moments de gènes potentiels des premiers rendez-vous, et de se rencontrer ! Le jeu c’est vraiment un prétexte pour passer un moment ensemble. C’est l’heure du loisir, d’un temps sympa en famille ou avec ses potes. Si certains joueurs veulent rajouter la compétition, la quête intellectuelle, le défi personnel, ou la stratégie, l’idée reste toujours de prendre du plaisir ! Les gens aiment se retrouver, s’amuser ensemble, partager. C’est ça les valeurs du jeu de société !
Beaucoup de nos clients savent qu’on est facilitateur pour qu’il y ait une bonne ambiance générale. C’est l’état d’esprit du bar. Ceux qui connaissent l’endroit peuvent se servir par eux-même en jeux. Sinon, il y a un sommelier du jeu qui est là pour conseiller les clients sur le jeu adapté à leur envie, celui qui leur irait le mieux. Il propose des jeux de la même manière qu’on proposerait un vin.
Le jeu est donc un prétexte pour passer un bon moment. Il permet de créer du lien, d’assouvir son besoin de connaissance (dans le cas du choix d’un jeu intellectuel). Et même de comprendre l’histoire !
Comprendre l’histoire, ça m’intrigue. Pouvez-vous développer ?
Comprendre l’histoire du jeu de société permet de mieux comprendre notre histoire…
Un marin qui a accompagné Christophe Colomb a ramené des jeux d’Amérique du Sud. Les règles de jeux et des tracés de plateaux avec des jeux en Asie offrent tellement de similitudes, que ce n’est pas possible que les deux civilisations ne se soient pas croisées ! Ça prouve qu’il y aurait eu des échanges culturels avant même l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Ce genre d’histoires, ça me fait tellement kiffer !
Au-delà de l’histoire pure et dure, si on ajoute la sociologie, on se rend compte par l’histoire du jeu qu’il a eu des conséquences sur les relations sociales, et donc sur la manière de jouer. A une époque, la noblesse et la bourgeoisie jouaient l’un contre l’autre à un jeu de dé en pariant des sommes qui pouvaient remettre en question la hiérarchie mise en place. La royauté s’est donc vue dans l’obligation d’interdire les dés pour qu’ils ne puissent plus jouer. De-là, ils ont inventé le jeu de Toc ! Les joueurs se sont adaptés pour continuer à jouer. Ça prouve à quel point le jeu est important ! C’est surréaliste qu’il n’y ait pas déjà de reconnaissance du jeu de société.
Un grand monsieur Français, Jean Marie Lhôte, a écrit le Dictionnaire des jeux. C’est une mine d’or de savoir sur les jeux ! Mais c’est un des rares à faire de la recherche… Je trouve ça tellement dommage.
Qu’est-ce qui vous a amené à utiliser le jeu comme médium ?
Moi je suis joueur depuis toujours, je n’ai jamais eu de break. Mais c’est à cause de, ou plutôt grâce à mon petit frère que j’en suis là… Je suis un grand frère tricheur. Du coup, mon petit frère, lui, ne gagnait jamais.
Un jour, il a eu le courage de m’affronter… Et il a arrêté de jouer avec moi.
Il a tenu plusieurs années. Je pense que c’est à partir de là que je suis devenu proposant. M’ennuyant à mort, j’ai essayé de trouver des trucs (créer des situations de jeu, lui proposer des défis…) pour le faire jouer. Il résistait par peur que je le piège.
Puis, il s’est remis à jouer avec moi. Et ça, c’était vraiment chouette 🙂 !
Ce moment où je tentais par tous les moyens de l’inciter à venir jouer avec moi a été une vraie prise de conscience. J’ai pris la position de celui qui fait jouer, de prendre plaisir à expliquer les règles du jeu, d’être le facilitateur.
Je savais que je voulais garder le jeu dans ma vie.
Plus tard, c’est quand j’ai compris l’importance du jeu dans le développement aussi bien de l’enfant, que de l’adulte, ou des personnes âgées, que je me suis formé à nouveau. Je suis allé au FM2J (Formation aux métiers du jeu et du jouet) à Lyon qui forme des ludothécaires, des animateurs de jeux, (…). Puis, j’ai fait une licence de science de l’éducation et des formations, où je suivais un cycle de thématiques de la compréhension du fonctionnement du cerveau quant à la réception des informations, la transmission des règles, des initiations à la culture, et l’histoire du jeu.
Aujourd’hui, je fais jouer les gens dans des grands festivals de jeux (comme celui de Cannes il y a 1 an et demi). Le jeu, c’est véritablement un moteur de rencontres sociales. Et je suis très content d’en faire mon métier.
Avez-vous vu d’autres actions qui vous ont particulièrement touchées ?
Oui bien sûr.
Des gens comme Thomas Planète, me touchent. J’aime son engagement, sa détermination. C’est un homme qui croit en ses valeurs écologiques et qui va au bout des choses. Il se déplace aux festivals en vélo accompagné de sa chariotte avec son matériel de jeu. C’est vraiment quelqu’un de bien.
De la même manière, quand je vois que la Maison des Jeux à Nantes, l’épicentre des maisons du jeu qui a colonisé toute la France, peut mettre en place plein de projets géniaux autour du jeu, ça me touche. Ce sont vraiment des gens qui veulent faire jouer, qui ont pour mission la promotion de la pratique du jeu pour partager et apprendre. Ce sont eux qui ont diffusé le Mölkky (jeu qu’on voit partout en France) ! On s’est inspiré d’eux pour créer la Maison des Jeux de Touraine… Je me suis dit que ce serait génial qu’on ait la même chose à Tours !
Mais, le manque me ronge. Le manque de soutien pour monter des actions. Le manque de personnes qui font de la recherche autour du jeu. L’absence de reconnaissance du jeu comme un objet culturel alors même que le ludique, c’est dans nos gênes ! Le manque de jeu dans les écoles. A l’école Claude Bernard, du Sanitas, à Tours, les enfants ne jouaient plus qu’à chat terroriste, ou chat baston. Ils n’avaient plus de jeux de cours d’école. Alors que ce qui construit l’ouverture d’un enfant, ce qui nourrit l’intérêt pour des pratiques culturelles diverses et variées, c’est le ludique. Ce n’est pas le jeu qui crée la violence, c’est l’absence de jeu.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Oui, j’en ai notamment un de tout prêt !
Normalement le mois prochain je rejoindrai 4 associés (notamment les créateurs d’Arkham Studio et Sylvain Petitpretre (mon associé du Cubrik)) pour fonder une maison d’édition du jeu de société à Tours. On va se lancer dans l’édition de jeu pour faire, si tout se passe bien, du narratif, c’est-à-dire du jeu qui permet de faire vivre une histoire.
Sinon, il y a toujours plein de choses à faire au Cubrik, on a toujours envie de le développer. Un jour, j’aimerais ouvrir l’étage au-dessus du bar, pour en faire une salle destinée aux enfants. Les parents pourraient sortir, prendre l’apéro tout en ayant l’assurance que leur enfant est dans un espace safe et cool où il s’éclate !
Je voudrais aussi agrandir le Cubrik et faire une salle de projection. A partir du moment où il y a un écran, et des sièges, on peut faire plein de choses (diffuser des jeux vidéo, des films, des courts métrages, …) ! C’est vraiment chouette 🙂
Je ne sais pas si le projet est encore d’actualité, mais, avant le COVID, il y avait les prémices d’un festival du jeu à Saint-Avertin (“Cangé des jeux”) qui devait réunir les acteurs de la métropole. S’il se fait, je militerai pour qu’il n’y ait pas que du jeu, mais pourquoi pas une expo, ou quelque chose pour faire comprendre à ceux qui n’y connaissent rien, l’importance du jeu. Je ne serai pas porteur de cet évènement, mais j’espère bien que ça va se faire !
Aller plus loin
Ceux qui ont été cités
Le Cubrik – Site
La Maison des Jeux de touraine – Site
Christophe Colomb – Wikipédia
Jean-Mari Lhôte, Dictionnaire des jeux – Wikipédia
FM2J à Lyon – Site
Festival de jeux à Cannes – Site – Wikipédia
Thomas Planète – Facebook – Tric Trac – Youtube (vidéo explication du projet)
Maison des Jeux de Nantes – Site – Facebook
Ecole du Claude Bernard (Sanitas) – Site de la ville de Tours
Arkham Studio – Site – Linkedin
Sylvain Petitpretre – Facebook
Saint-Avertin – Site – Localisation Maps
Festival Cangé des Jeux – Site du Val de Loire
Les jeux qui ont été cités
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