Crédit photo : Erwan Dieu

Le : 29 septembre 2021, par Fabien Vidal

Erwan Dieu

Docteur en psychologie, criminologue et directeur de l’ARCA

L'essentiel

« Le fait de passer par le ludique donne beaucoup d’autonomie »

Erwan Dieu est docteur en psychologie, criminologue et directeur de l’ARCA, une association dont une unité de recherche fait le lien entre les avancées en criminologie et les professionnels.

Il défend une criminologie positive : si la criminologie est bien un sujet grave, on peut aussi l’aborder en cherchant une interaction positive avec les détenus comme les victimes pour les accompagner à prendre leur vie en charge. En faisant AVEC ce qu’ils sont, plutôt que CONTRE.

Erwan manquait d’outils pour cette pratique. Il a donc créé F.R.E.D., un environnement en réalité virtuelle pour accompagner les patients dans la reconstruction de leur plan de vie. Cet outil donne de bons résultats, et lui donne envie d’explorer l’application d’autres techniques, comme l’EMDR, au numérique.

Interview

Bonjour Mr Dieu, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Erwan Dieu, et je suis criminologue clinicien. J’ai un master en criminologie et j’ai un doctorat en psychologie à Rennes. Ma thèse portait sur « la mise en place et l’évaluation de la justice restaurative en Indre-et-Loire ».

Je suis aussi le directeur général du service de criminologie, l’ARCA. C’est une unité de recherche et d’actions pluridisciplinaire, qui a pour vocation d’être un médiateur entre les professionnels et les avancées de la recherche en criminologie, mais aussi de l’accompagnement psychologique et juridique.

Avec l’aide de Manysinn Thin de Prototyper, nous avons créé F.R.E.D., un outil en réalité virtuelle pour accompagner les auteurs d’infraction et les victimes de violence dans la reconstruction de leur plan de vie.

 

De la réalité virtuelle … ça ressemble presque à du jeu. Êtes-vous joueur ?

J’adore les jeux de plateau ! Je joue à Civilization, Pandémie, ou 7 Wonders. Mais je dois limiter mon nombre d’heures de jeu… Et j’essaie aussi de me restreindre aussi sur le numérique.

En littérature, je viens de finir le manga L’attaque des Titans. Au niveau création d’univers et écriture, c’est ce que j’ai lu de mieux depuis Asimov et Tolkien.

 

Utilisez-vous le jeu dans vos médiations ?

Tous les outils que je conçois ont généralement une dimension très ludique. Par exemple, en 2013, j’ai conçu un outil de prise en charge à partir d’un jeu d’échecs.

C’est une approche peu commune dans le domaine de la criminologie : beaucoup pensent que c’est une thématique très grave et très sérieuse, et donc qu’il faut en parler avec gravité. “L’homme est un loup pour l’homme”… La criminologie est souvent inspirée d’une approche très négative.

Mais je prends les choses dans l’autre sens. Je m’inscris dans une approche de criminologie positive, ou de criminologie de la confiance. Ça change beaucoup de choses dans les protocoles ! Avec mes collègues, nous aimons nous baser sur l’anthropologie et l’expérimentation, montrer que l’interaction positive existe.

C’est ce que nous avons fait avec F.R.E.D.. C’est un outil qui place les détenus ou les victimes dans un environnement agréable, où nous pouvons les accompagner par la voix pour appréhender leurs émotions et les mettre en relation avec des concepts, comme les proches, les amis, ou la société. Ça donne de bons résultats, y compris avec des publics très sensibles comme les terroristes extrémistes ou les auteurs de violences conjugales.

 

Comment en êtes-vous venus à utiliser le jeu dans vos médiations thérapeutiques ? Qu’est-ce que vous en retirez ?

J’avais une appétence pour l’affirmation de soi, sans rejeter les autres. Et le jeu est un bon support.

Dans mes études, j’étais très intéressé par la justice restaurative : comment restaurer les personnes et le lien social, plutôt que d’exclure ? Et j’avais besoin d’outils pour ça.

Ce que j’observe avec F.R.E.D. et les autres outils, c’est que ça donne des perspectives à nos patients, surtout à ceux qui ont déjà fait beaucoup de thérapies avec plusieurs psychologues. Le fait de passer par le ludique donne beaucoup d’autonomie. Il permet au patient de se poser la question “de quelles compétences et quelles forces je dispose pour prendre ma vie en charge ?

Et c’est également utile aux psychologues. Faire du positif, sortir du trauma, travailler le futur, ça nous fait du bien.

Par contre, il y a des réticences… Nous adoptons une criminologie du “What else ?”, trouver ce qui aide. On se demande “Qu’est-ce qui marcherait dans ce cas là ?”, on cherche à comprendre ce que veut notre patient par rapport à son choix de vie. Ne pas lutter CONTRE, pour vivre AVEC. Mais dans notre milieu, nous rencontrons parfois des oppositions à cette approche…

 

Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?

Ah oui ! Il y a d’autres expérimentations faites par mes collègues.

Ce n’est pas vraiment du jeu, mais en Grèce, Katerina Soulou a proposé à des détenus de rejouer les scènes d’une tragédie grecque, en y superposant leur vie. C’est très malin de partir de quelque chose d’immense, pour aboutir sur quelque chose de très individuel. “Tous les scénarios ont les mêmes histoires”.

Et c’est intéressant cette manière dont ils sont vus comme des monstres dans leur vie, mais comme des héros dans une histoire.

Katerina fait une thèse sur la justice restaurative à l’université de Aix-Marseille.

 

Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?

Oui. J’ai un nouveau projet avec Manysinn Thin : une application numérique sur l’EMDR (Eyes Movement Desensitization and Reprocessing) à destination des professionnels et des patients pour retravailler les expériences d’adversité au sein de leur vie.

J’aimerais aussi qu’en Indre-et-Loire, on sache que ce projet né ici, F.R.E.D, est devenu une référence internationale avec une expérimentation de trois ans dans plusieurs pays liée à la Commission Européenne, référencé dans un board international de la criminologie (Good Lives Model), etc. Nous pouvons en être fiers.

 

Aller plus loin

En savoir plus sur Erwan Dieu

Erwan Dieu – LinkedInResearch Gate

ARCA – Site

 

Ceux qui ont été cités

Tours – WikipediaSite

Indre-et-Loire – WikipediaSite

Manysinn Thin – LinkedIn

Prototyper – Site

L’attaque des Titans – WikipediaSite

Isaac Asimov – Wikipedia

J. R. R. Tolkien (John Ronald Reuel Tolkien) – Wikipedia

Grèce – Wikipedia

Katerina Soulou – LinkedInRe-storying a terrorist tragedy: The encounter (Viméo)

Université de Aix-Marseille – WikipediaSite

EMDR – Wikipedia

Good Lives Model –  Site

Commission Européenne – WikipediaSite

 

Les jeux qui ont été cités

Civilization (jeu de plateau) – Wikipedia

Pandémie – WikipediaTric Trac

7 Wonders – WikipediaTric Trac

Le jeu d’échecs – WikipediaTric Trac

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