Crédit photo : Cécile Cathelin

Le : 29 septembre 2021, par Fabien Vidal

Cécile Cathelin

Professeur de Lettres Modernes en Lycée.
Fondatrice de CLAPOTEE – Podcasts éducatifs.
Fondatrice de HERACLION – Promotion du numérique auprès des lycéens

L'essentiel

« Il faudrait qu’à l’université, il y ait un parcours sur la plus-value éducative du jeu ! »

Cécile Cathelin est professeur de Lettres Modernes en Lycée, où elle a mis en place des classes mutuelles inversées. Ce mode de pédagogie permet aux élèves de préparer les notions du cours avant d’arriver en classes, pour ensuite les travailler en groupe.

Et ce principe d’enseignement amène naturellement à s’appuyer sur le ludique : création de challenges pour rendre l’apprentissage amusant, jeux introductifs pour développer la pratique réflexive des élèves, ritualisation de quiz pour mettre les élèves en condition… Cécile souhaiterait que ces usages du jeu soient mieux reconnus.

Au-delà du jeu, Cécile est également particulièrement active sur l’utilisation et la diffusion des pratiques numériques dans l’enseignement, avec la création d’association, de formation et de podcasts à destination des enseignants et des élèves…

Interview

Bonjour Mme Cathelin, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Cécile Cathelin, professeur de lettres dans l’académie d’Orléans-Tours depuis 20 ans.

Depuis quelques années, j’ai intégré le numérique dans mes pratiques éducatives. J’ai mis en place la classe mutuelle et inversée. Mutuelle, car je fais travailler les élèves par équipe, et le principe de la classe inversée, c’est de donner les notions essentielles en dehors des cours pour qu’ils les préparent.

Ainsi, en amont, je prépare des capsules vidéos qui donnent ces notions : mots-clés, éléments d’histoire littéraire, analyses de romans… Et en commun, ils vont mettre en œuvre ces notions. Je fais une pédagogie de projet, en ce sens que je donne des missions aux élèves et parfois j’utilise la ludification pour l’acquisition de connaissances fondamentales.

Cette démarche de travail asynchrone était déjà appropriée avant la crise du COVID. J’avais déjà de la matière, et ça m’a permis de les faire travailler en confinement ! La distance m’a aussi amenée à aborder les pratiques de ludification numériques comme des challenges. Mais attention, la ludification ce n’est pas que le numérique !

Au-delà des cours, je donne aussi des formations. Je forme des enseignants débutants ou déjà expérimentés, je leur présente des outils adaptés aux classes mutuelles inversées, qu’elles soient numériques ou non.

J’ai également monté l’association Héraclion qui propose des ateliers aux lycéens sur la découverte des métiers autour du numérique, les jeunes montent des projets sur l’année, encadrés par des professionnels. Et des sorties sont organisées dans des lieux emblématiques comme, par exemple, la Station F. Malheureusement, avec la crise sanitaire, c’est un peu en suspens en ce moment…

Et depuis janvier 2020, j’ai lancé Clapotee, une plateforme de podcasts éducatifs. Le but est de proposer aux lycéens des contenus éducatifs en lien avec les programmes nationaux.

 

Êtes-vous joueuse ? Et si oui, à quoi jouez-vous en ce moment ?

En ce moment, je n’ai pas le temps. Mais j’ai toujours joué aux cartes ou aux jeux de plateau avec mon frère et mes copains. Au Cluedo, à Risk, aux livres dont vous êtes le héros… Et à des jeux de console aussi. Mes parents m’invitaient à jouer, car « ça développe la créativité ».

Avec mon frère, nous avions eu par nos parents une console, pour l’époque innovante, Intellivision ; je jouais à des jeux comme Armor Battle, Skiing, Utopia, Deadly Discs. Même encore aujourd’hui, avec mon neveu de 22 ans, on se prend à relancer une partie ;-). Le côté ludique, énigmes à remplir, missions à réaliser est toujours amusant et motivant !

 

Comment utilisez-vous le jeu dans les classes ?

En classe inversée, le jeu passe surtout par la ludification du travail. Je donne aux élèves plusieurs missions à remplir, avec comme objectif de gagner quelque chose : une note, un bonus, du temps… Le but est de bonifier leur travail.

En classe de seconde, l’année où nous n’avons pas la pression du bac, nous avons 10 séquences de cours. À chaque séquence, je commence par 1 ou 2 heures de jeu, ce qui fait 10 jeux dans l’année.

Quelques exemples de jeux qui ne sont pas numériques :

En cours de méthodologie, j’ai un principe de puzzle qui permet d’appréhender des éléments méthodologiques de la dissertation difficiles à discerner pour les élèves (qu’est-ce que la thèse, les arguments, les exemples ?). Je suis partie d’un plan de dissertation que j’ai découpé en petites languettes plastifiées, et j’ai tout mélangé dans une enveloppe ! Les élèves y voient un jeu et non pas un exercice, car il y a un chronomètre et ils doivent recomposer le plan en équipe. La carotte, c’est le challenge pour être les premiers. Ceux qui y arrivent gagnent un bonus, et le chronomètre le valorise.

J’utilise aussi le Jeu de familles, Les grands écrivains. C’est comme un jeu de 7 familles ciblé sur les mouvements littéraires. Les élèves doivent mettre les auteurs dans ces mouvements : dans le romantisme, ils doivent y ranger Chateaubriand et Victor Hugo. Mais il y a aussi des subtilités : Maupassant est à la fois réaliste et naturaliste. Ainsi sa carte est dupliquée en 2 couleurs. Ça ouvre une pratique réflexive de l’élève : il se rend compte qu’un auteur peut être dans plusieurs familles, ça nous permet de parler de leur singularité. Baudelaire est seul par exemple.

Après le jeu, nous faisons un bilan sur cette pratique réflexive. Et ça permet de faire un ancrage mémoriel plus efficace. En tout cas, ce que disent les élèves, c’est qu’« ils retiennent 10 fois mieux ». Car ils ont été en action, et en manipulant, ils retiennent mieux les connaissances.

Comme jeu numérique, j’utilise Kahoot (un quiz en ligne, jouable à plusieurs chacun son téléphone portable). Ça marche très bien ! La première fois, ils sont très excités, mais après cela devient une habitude, et ils le prennent de manière très sérieuse.

 

Comment en êtes-vous venue à utiliser le jeu dans vos classes ?

C’est la classe inversée. Elle permet d’utiliser le jeu en équipes. C’est une pratique pédagogique qui a de nombreux atouts …  Les élèves qui n’ont pas de plaisir à apprendre seuls trouvent dans cette démarche des avantages : ils apprennent avec les autres, l’équipe devient un levier de motivation et par le jeu l’apprentissage devient amusant.

En tout cas, les élèves aiment bien ces moments d’apprentissage par le biais du jeu. Ils ont un emploi du temps très chargé, et là, c’est leur heure pour apprendre autrement et respirer sans la pression du cours ou de l’évaluation. Le jeu leur permet aussi de bouger, se lever, tourner autour de la table de jeu ! Cela les change du cours “habituel” ! Lors de ces séances, j’adore regarder les élèves pour comprendre la manière dont ils fonctionnent. Ça m’arrive de les filmer (sans visage) pour montrer aux autres enseignants leur fonctionnement dans ces activités. Et en tant qu’enseignant, le fait d’être observateur nous permet de les appréhender comme individus, ça nous donne des indices sur la manière d’organiser les équipes. C’est très utile pour la gestion de classe.

Et ça aide aussi les élèves à prendre conscience des différents rôles…

 

Ça a l’air puissant… Comment est-ce que cette pratique est vue par vos collègues ?

Dans les pays nordiques, le jeu est intégré très tôt dans les pratiques pédagogiques. Mais en France on a tendance à dire que la ludification « Ce n’est pas sérieux ». Des collègues me répondent « que tu as le programme à faire », « que tu as du temps à perdre »… Pourtant, il y a des choses très simples et très rapides à faire, qui marchent très bien et qui sont tout à fait dans une démarche pédagogique constructive.

Mais cela commence à changer auprès des enseignants. Enfin… plutôt en primaire et au collège, car au lycée, ils sont encore pris par le bac… Il y avait eu le même problème lorsque les classes inversées et mutuelles sont apparues : « ce n’était pas sérieux ». Mais cela a changé depuis le congrès de la CLIC (classe inversée, le congrès).

Du côté des élèves aussi, il peut y avoir des freins. Il y en a toujours qui disent « Ouais, on ne va rien faire ! On joue ! ». Mais une fois le premier jeu amorcé, ils se rendent compte de l’intérêt pour l’apprentissage. Lorsque la sonnerie retentit, ils disent « Quoi, c’est déjà fini ? » : ils ont pris plaisir à jouer, et donc à apprendre. Une fois que c’est ritualisé, ils se rendent compte que le jeu leur a permis d’apprendre autrement.

Voilà ! C’est ça qu’il faudrait ancrer dans l’esprit des enseignants ! Il faudrait qu’à l’université aussi du moins de façon large au niveau supérieur, il y ait un parcours sur la plus-value éducative du jeu ! S’il y avait une chaîne de logique de formation et de création, il n’y aurait plus ce regard sur le jeu qui n’est pas sérieux.

Quand on la lance, la ludification peut paraître chronophage. Mais une fois qu’on a bien ciblé 2 ou 3 activités, c’est bien de s’y limiter : le jeu ne doit pas devenir une usine à gaz. Et il y a beaucoup de réseaux qui proposent des kits comme les sites institutionnels comme Canopé, certains sites académiques, comme celui de l’académie de Versailles. Pour préparer le grand oral, ils ont par exemple des cartes à jouer avec des QR code.

Le jeu commence quand même à être intégré de façon pérenne dans les pratiques enseignantes ; pensons par exemple aux escape games qui trouvent toute leur place dans les différentes séances de travail !

 

Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchée ?

Dans un autre collège, j’ai vu des collègues organiser un jeu interdisciplinaire entre plusieurs matières. Ça a demandé un travail collaboratif énorme ! Fédérer tous les 4e et les 3e pendant 2 journées, avec des énigmes d’histoire, de sciences, de langues, de sport, d’art plastique, de musique… C’est devenu un vrai projet pédagogique d’établissement !

Les élèves se déplaçaient dans le collège et comprenaient que les connaissances d’une discipline pouvaient servir à d’autres matières. C’est l’exemple parfait du jeu qui prend son sens dans un établissement scolaire !

 

Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?

J’ai déjà beaucoup de projets !

J’aimerais bien faire un jeu de type Cluedo, avec un auteur qui a assassiné le romantisme. Il y a plein de trucs à faire, notamment au lycée, car le bac c’est sérieux ;-).

Quelque chose qui me motive – et c’est tout récent suite à ma rencontre au Congrès de LUDOVIA avec son créateur, Stéphane Marcineau – c’est le jeu de cartes PhiloDéfi, un jeu de cartes pour apprendre la philosophie autrement ! On a beaucoup discuté avec Stéphane et on compte réfléchir à un mariage de podcasts éducatifs et de jeux de cartes de LettresDéfi ! C’est plus que motivant !

J’aimerais aussi vraiment expérimenter un jeu qui utilise la réalité virtuelle. Je voudrais voir ce que ça donne ! J’en ai parlé avec My-Serious-Game. Ce serait par exemple pour rencontrer des auteurs dans leur lieu de vie et appréhender leur création littéraire. Je ne me vois pas me lancer seule là-dessus bien sûr, car je n’ai pas les compétences techniques déjà, et que cela nécessite un vrai travail collaboratif de scénarisation ! Mais c’est cela qui est passionnant, car la ludification induit aussi un travail collaboratif en amont !

 

Aller plus loin

En savoir plus sur Cécile Cathelin

Cécile Cathelin – LinkedIn

Héraclion – FacebookPodcast

Clapotee – Podcast

 

Ceux qui ont été cités

Académie d’Orléans-Tours – WikipediaSite

Station F – WikipediaSite

Intellivision – Wikipedia

Romantisme (littérature) – Wikipedia

François-René de Chateaubriand – Wikipedia

Victor Hugo – Wikipedia

Guy de Maupassant – Wikipedia

Réalisme (littérature) – Wikipedia

Naturalisme (littérature) – Wikipedia

Charles Baudelaire – Wikipedia

CLIC (congrès de co-formation) – Site

Réseau Canopé (Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques) – WikipediaSite

Académie de Versailles – WikipediaSite

Le grand oral – Site

My-Serious-Game – Site

Ludovia – Site

 

Les jeux qui ont été cités

Cluedo – WikipediaTric Trac

Risk – WikipediaTric Trac

Livres dont vous êtes le héros – Wikipedia

Armor Battle – WikipediaSensCritique

Skiing (US Ski Team Skiing) – Wikipedia –  SensCritique

Utopia – WikipediaSensCritique

Tron : Deadly Discs – WikipediaSensCritique

Puzzle – Wikipedia

Jeu de familles Les grands écrivains – Site

Jeu des 7 familles – WikipediaTric Trac

Kahoot ! – WikipediaSite

PhiloDéfi – SiteFacebook