Crédit photo : PARM (Parcours de Réussite Modulaire)

Le : 13 janvier 2022, par Fabien Vidal

Benoît Rayneau

Conseiller pédagogique au CAPE (Centre d’accompagnement à la pédagogie et à l’enseignement) de l’université de Tours.

L'essentiel

« J’aimerais monter une formation sur l’utilisation du jeu au sein de l’université ! »

Benoît Rayneau est conseiller pédagogique à l’Université de Tours et a été un des fondateurs de la Maison des Jeux de Touraine, où il a mené de nombreuses médiations autour du jeu.

Alors, comme sa grande pratique du jeu est connue, les enseignants le sollicitent souvent pour intégrer le jeu dans leurs cours. Ce qui demande un accompagnement pour proposer quelque chose de pertinent et d’intéressant ! D’ailleurs, Benoît aimerait monter une formation sur le ludique et la pédagogie à l’université, voire un Gaming Lab !

Dans cet interview, Benoit nous partage une part de sa grande expérience sur les utilisations du jeu, des limites qu’il a rencontrées, mais aussi de son envie de comprendre et d’aller plus loin.

Interview

Bonjour Benoît, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Benoît Rayneau et depuis 2 ans, je suis ingénieur pédagogique au CAPE (Centre d’Accompagnement à la Pédagogie et à l’Enseignement) à l’Université de Tours : j’accompagne et je soutiens la formation tout au long de la vie des enseignants-chercheurs.

Je suis issu de l’éducation populaire, et j’ai un solide bagage dans le jeu. D’ailleurs, j’ai fait partie des fondateurs de la Maison des Jeux de Touraine en 2006.

 

Vous devez être joueur alors. À quoi jouez-vous ?

Je joue à la vie !  Non, je rigole…

Je suis très peu jeu vidéo : plus jeune je jouais à Diablo, mais ça me prenait trop de temps. Et ça me posait une question éthique… Je devais avoir 12 ans quand j’ai découvert le jeu de rôle sur table, et j’ai arrêté tous les écrans !

En ce moment, je joue à Warhammer (le jeu de rôle ). J’ai fait des grandeur nature sur Cthulhu (un univers horrifique), et je masterise Nephilim, un jeu de rôle qui met en scène le monde contemporain dans un univers occulte. D’ailleurs, j’ai fait mon mémoire de DUHEPS (Diplôme Universitaire des Hautes Études de la Pratique Sociale) dessus : avec un autre maître de jeu, nous co-animions une campagne (ensemble de plusieurs scénarios) qui se passe en Bretagne. Pour la préparer, nous y avons organisé un voyage, où nous sommes allés visiter les lieux, prendre des photos, prendre des idées sur le terrain… Ça a été une vraie expérience de vie ! Nous y avons régulièrement joué pendant 5 ans, en utilisant les photos et les prospectus récupérés sur place. Et mon mémoire portait sur le « Maître de jeu en tant que praticien réflexif de l’accompagnement”, c’est-à-dire ce qu’apporte le fait d’être maître de jeu sur la posture d’accompagnement.

Cela dit, j’aime le jeu de rôle. Mais je n’ai pas particulièrement envie de l’utiliser comme outil dans le professionnel…

J’ai aussi une pratique associative du jeu, notamment le grandeur nature, que je pratique avec l’association J’en perds mon lutin. Nous faisons des killers, des soirées enquêtes. Je joue aussi à des jeux de société. Mon grand plaisir, ce sont les jeux coopératifs, comme Pandémie.

 

Comment utilisez-vous le jeu dans votre travail ?

Je suis conseiller pédagogique. Et ce sont les enseignants qui viennent me solliciter quand ils veulent utiliser le jeu. (Mais, je ne suis pas sollicité que pour le jeu…)

Je leur apporte un regard bienveillant : certains ont peu de culture ludique et ils arrivent avec des idées très classiques , (le Jeu de l’Oie, le Mille Bornes…) pas toujours adaptées à leur situation pédagogique J’ai alors besoin de leur apporter cette culture ludique, en leur posant la question “Est-ce que vous aimeriez jouer à ça ?” “Est-ce que vos étudiants vont être motivés pour jouer à ça ?

Dans la démarche de conseil, il faut aussi comprendre pourquoi ils veulent faire du jeu : parfois, ce n’est pas le support le plus pertinent, et c’est dommage de dépenser autant d’énergie lorsque le jeu n’est pas adapté…

Mais d’autres fois, le jeu est effectivement le bon support ! Avec des étudiants, j’avais organisé un atelier sur l’efficacité en travail de groupe avec le jeu Unlock ! . C’est un escape game (jeu d’enquête), où l’on doit choisir les bonnes cartes pour avancer. La session dure 15 minutes, et durant laquelle les étudiants forment une équipe et doivent se mettre d’accord pour demander les cartes. Et après, nous faisons un débriefing. Le but de l’expérience n’est pas de finir l’enquête, mais de comprendre comment ils ont coopéré.

J’aimerais monter une formation sur l’utilisation du jeu au sein de l’université !

J’ai aussi eu une approche de recherche : juste avant d’être conseiller pédagogique, j’ai fait un master SIFA (Stratégie et Ingénierie en Formation d’Adultes), et j’ai fait mon mémoire de recherche sur l’utilisation du jeu en formation. Une de mes questions était de comprendre qui utilise le jeu comme outil professionnel. Sont-ils aussi joueurs dans le non professionnel ? Quelle porosité y a-t-il entre le pro et le non-pro ?

Le jeu est tellement vaste qu’il y a des pratiques et des regards très différents !

Il y a  20  ans, j’ai fait une maîtrise en sciences du langage. Mon mémoire explorait dans quelle mesure, à travers le langage, on crée un univers fictif qui a une historicité. Et la manière dont on crée un discours commun, qui est une co-création.

Et finalement, il y a 12 ans, j’ai fait mon mémoire de DUHEPS puis plus récemment celui en Master SIFA.

 

Vous nous avez parlé de la Maison Des Jeux de Touraine. Comment y avez-vous utilisé le jeu au-delà du ludique ?

Nous y avons mené énormément d’actions entre 2006 et 2018…

Par exemple, nous avons organisé une semaine de formation sur la coopération pour des étudiants en carrière sociale : nous commencions sur un jeu non collaboratif, et ils avaient la semaine pour le rendre collaboratif.

C’était intéressant. Mais il y a une frustration en tant qu’intervenant en pédagogie : on sème des graines, mais ce n’est pas nous qui les arrosons. Il est très rare d’avoir des retours plus tard sur les effets que la formation a eu …

Une autre action : un jour, nous en avons eu marre de voir des Jeux de l’Oie ou autres dès que quelqu’un veut aborder des thématiques, comme l’énergie. Alors nous avons conçu une formation d’aide à la conception de Serious Game. Nous avons travaillé avec Harmonie Mutuelle, qui voulait créer un jeu pour aider ses clients à comprendre son fonctionnement. La formation durait une semaine et portait sur la culture du jeu et les mécanismes : nous commencions par un accueil ludique, puis nous traitions de l’analyse des besoins, et les participants aboutissaient sur un prototype conçu avec des jeux recyclés. Au final, nous avons formé pas mal de monde qui voulait utiliser le jeu dans le milieu professionnel !

En parlant de jeux recyclés, nous avons mis en œuvre Docteur Ludis. Nous considérons le jeu en tant que “Patrimoine Humain et Vivant” qui a besoin d’être préservé. Et nous avons réalisé un très gros travail pour récupérer des centaines de boîtes de jeux, les compléter quand ils manquaient des éléments, les réparer, puis les redistribuer à des organisations qui en avaient l’utilité.

Avec Pierre Lebleu, nous avons également réalisé  le projet Compatibility Sanitas, une déclinaison du jeu Compatibility pour le quartier prioritaire le Sanitas. Ce projet est parti d’une commande de la ville : ils avaient besoin de demander leur avis aux habitants du quartier, mais n’y arrivaient pas. L’objectif était de le faire au travers d’une activité ludique.

Nous avons d’abord fait jouer les habitants à Compatibility. C’est un jeu qui se joue en binôme : un thème est donné, chacun à 40 photos en main, et il faut choisir les mêmes pour marquer les points. Ensuite, et c’est ça qui était intéressant, nous leur avons fait construire la version Sanitas : ils ont pris des photos de leur quartier, et ils ont travaillé sur les thèmes à partir de leurs mots pour parler de leur quartier… Et à la fin, avec l’accord de l’éditeur, nous avons créé cette édition Sanitas ! Nous avons réalisé 12 boîtes avec l’aide d’un graphiste et d’un fabricant de matériel de jeu pro.

Ça a été un travail très long et c’était bien d’avoir un financement ! Nous voulions la mener sur d’autres quartiers politique de la ville, mais c’était la fin de l’équipe salariée de l’époque  à la MdJT… En tout cas, nous avons pu faire un événement final, avec le centre social Pluriel (le) s, la maison de la réussite, le 13, l’assistance sociale !

Quel relais a été fait ensuite par les assistants sociaux ? Est-ce qu’il y a eu des effets individuels avec les participants ? J’aurais bien aimé pouvoir effectuer une évaluation sur le long terme, nous l’aurions sans doute fait si l’équipe s’était maintenue. Mais tant pis pour ma curiosité, ça a été super à mener ! D’ailleurs, c’est le seul jeu que j’ai gardé de la Maison des Jeux de Touraine…

Par contre, si l’on parle d’évaluation réussie, avec la Politique de la Ville, pendant 10 ans nous avons mené des ateliers culturels 2 à 4 fois par semaine. C’était avec des enfants repérés comme ayant des difficultés, mais ce n’est pas parce qu’ils sont mal valorisés dans le cursus scolaire qu’il n’y a pas de domaines où ils peuvent l’être !

Et comme l’action a duré 10 ans, on voit l’impact chez ceux qui reviennent, la manière dont les compétences de joueur apprennent à savoir faire avec les autres. Nous avons pu faire une réelle évaluation, avec des critères d’évaluation. C’était supervisé par mon collègue, Pierre.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à utiliser le jeu ?

Dès que j’ai travaillé, j’ai utilisé le jeu.

J’étais animateur BAFA, le jeu (de société et sportif) est important dans l’éducation populaire : c’est un très bon outil pour amener l’initiative et la collaboration.

Au tout début des années 2000, dans le cadre d’une action menée par la fédération Léo Lagrange, nous avions fait des interventions en lycée sur l’homophobie et le racisme. Nous avions des mallettes pédagogiques avec des jeux sur les stéréotypes. Par exemple le Cultionary (d’ailleurs, je pense le réutiliser en cours…) : on fait dessiner des choses où il y a des stéréotypes. Et ensuite on en discute avec les joueurs, pour faire la distinction entre stéréotype, préjugé (lorsqu’il y un jugement de valeur sur le stéréotype), et discrimination (lorsque l’on agit par rapport aux préjugés). Je l’ai animé dans toute la France, car peu de monde était formé là-dessus.

Je me rappelle d’une animation sur l’homophobie dans un lycée de campagne qui m’a laissé un souvenir cuisant et me rappellera toujours à quel point ce sujet est sensible …

Ensuite, il y a eu la création de la Maison des Jeux de Touraine, c’était un peu le “projet de vie” de François Hotton ! C’était au moment où je faisais mon mémoire de DUHEPS et je l’avais rencontré à un killer pour 60 personnes que j’organisais avec les J’en Perds Mon Lutin sur la ville de Tours. Il est venu me chercher pour que je sois responsable pédagogique. Nous étions 6 avec Pierre Lebleu, Guillaume Frouard, Samantha Chatelain et Romain Clair. Et nous nous sommes lancés à fond dedans ! Avec François et Pierre, la volonté était de nous salarier. Nous avons réussi pendant 12 ans ! Et même plus puisque nous étions au final en 2018, 5 salariés en CDI à plein temps. Tous des collègues formidables. Sans parler de tous les bénévoles, les adhérents…

J’ai accepté à l’époque, car c’était l’opportunité pour moi de faire de la recherche-action-formation sur le jeu. Mais c’est à la MDJT que j’ai rencontré le jeu de société.

Nous étions centre de ressources, organisme de formation, nous proposions aussi des prestations, nous faisions de l’événementiel, et nous avons bénéficié de Cap Asso que nous gérions bien : nous avons pu en avoir 4. (NDLR : Le Cap Asso est un cofinancement des salariés en association)

Mais au moment où la formation commençait à prendre, après 12 ans à nous être battus pour réaliser un travail consciencieux et de qualité, nous n’avons toujours pas réussi à convaincre les collectivités à nous soutenir avec des locaux qui nous auraient permis de continuer à nous développer. Nous avions atteint un seuil que nous n’avons pas réussi à dépasser, créant un déséquilibre financier trop important.  Nous avons dû quitter nos locaux et nous séparer des salariés et d’une partie de notre parc de jeux. C’était un crève-cœur. Pendant 1 an, je n’ai pas réussi à y mettre   les pieds…

Mais je suis hyper fier de ce que nous avons fait ! J’aimais les actions que nous y avons menées et les gens avec qui nous travaillions. Nos actions avaient de la portée ! Et avec l’équipe, nous continuons à nous voir.

 

Avez-vous vu d’autres actions qui vous ont particulièrement touchées ?

Ah, je ne sais pas si on peut appeler ça du jeu, mais j’ai participé il y a longtemps à un projet de STAJ Touraine qui s’appelait Débattons dans les rues, c’était un festival politique de rue, avec l’idée de se réapproprier la rue comme espace politique.

Il y avait par exemple des paroles boxées : on créait un espace où chacun pouvait dire ce qu’il voulait, sans droit de réponse des autres. Ce que disaient les gens était très émouvant, et on se rendait compte qu’il n’y a pas d’espace pour ça. Il y avait cette notion de se réapproprier les rues, un peu comme la MdJT, qui apportait du jeu dans la rue.

Et la parole, comme le jeu, ça s’accompagne : il ne suffit pas de poser une boîte de jeu sur une table pour que les gens se mettent à jouer ! C’est différent du jeu vidéo, où l’accompagnement se fait par le média.

 

Avez-vous de nouveaux projets ?

J’ai été sollicité par des éditeurs pour faire des livres jeux. mais il est difficile de faire reconnaître le statut d’auteur de jeu qui est différent de celui d’écrivain. J’ai aussi une idée qui me trotte dans la tête depuis des années ! Je suis un ancien fumeur, et j’aimerais faire un jeu sur la cigarette : on y incarnerait une bande de fumeurs, et on voit qui meurt le premier. L’idée est de mettre en scène la mécanique addictive.

D’un point de vue professionnel, je pense que l’université devrait se doter d’un Gaming Lab ! Il y a une demande, mais je ne pense pas que ce soit leur priorité… Chaque fois, c’est complexe : plusieurs services sont impliqués, et c’est tout de suite compliqué…

 

 

Aller plus loin

En savoir plus sur Benoit Rayneau

Benoit Rayneau – Site de l’Université de Tours 

CAPE (centre d’Accompagnement à la Pédagogie et à l’Enseignement) – Linkedin Site de l’Université de Tours

Université de Tours – Site Wikipédia 

La Maison des jeux de Touraine – Facebook

 

Ceux qui ont été cités

Bretagne – Wikipedia

J’en perds mon lutin – Site 

Master SIFA (Stratégie et ingénierie en formation d’adultes) – Site

CEMEA – Site Wikipédia 

Harmonie Mutuelle – Site Wikipédia

Sanitas – Wikipédia Site de la ville de Tours

Centre Social Pluriel (le) s – Site

La maison de la réussite – Site

Le 13 – Espace passerelles – Site

Quartier prioritaire politique de la ville – Wikipedia

BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur) – Site du gouvernement Wikipédia 

STAJ (Service Technique pour les Activités de Jeunesse) – Site

Pierre Lebleu – La nouvelle république 

Romain Clair – Linkedin 

Cap Asso – Site

Débattons dans les rues – Mémoire, Université de Tours Crajep Centre 

Paroles boxées – Site de l’éducation populaire Université de Tours

 

Les jeux qui ont été cités

Diablo – Wikipédia

Warhammer – WikipédiaTric-Trac

Grandeur nature – Wikipédia 

L’appel de Cthulhu (Jeu de rôle)- Wikipédia Tric Trac 

Nephilim – Wikipédia Tric Trac

Killer – Wikipédia 

Soirée enquête – Wikipédia

Pandémie – Wikipédia Tric Trac

Jeu de l’Oie – Wikipédia Tric Trac

1000 bornes – Wikipédia Tric Trac

Unlock! – Wikipédia Tric Trac

Docteur Ludis – La nouvelle République

Compatibility – Tric Trac

Compatibility Sanitas – La Nouvelle République

Cultionary – Red Educagri Site EYCB