Crédit photo : Parlement de la Loire

Le : 29 septembre 2021, par Anna Cotard

Bénédicte Métais

Urbaniste géographe

L'essentiel

« C’est essentiel de ramener le jeu dans nos vies pour passer
un bon moment »

 

Bénédicte Métais utilise le jeu comme médium pour repenser le territoire, pratique qu’elle tire notamment des Robins des villes. Le jeu permet à la fois de capter l’attention des élus, parfois lassés et peu réceptifs aux réunions qu’ils vivent en permanence, tout en sortant du jargon d’expert. C’est un outil précieux de co-construction, pour imaginer ensemble un projet. Il offre aussi l’opportunité de mieux dialoguer avec les habitants. Elle utilise divers supports de jeux. Ils peuvent aussi bien prendre la forme de maquettes que de balades urbaines, de jeux de rôle, ou de cartes.

Interview

Bonjour Bénédicte, qui êtes-vous ?

Bonjour, je suis Bénédicte Métais. Je suis urbaniste, spécialisée dans l’écologie urbaine. Mon travail se concentre sur tout ce qui touche aux risques naturels, aux continuités écologiques, à l’agriculture, au paysage, aux questions de la gestion des déchets, de l’eau, etc.

Je conçois aussi des temps de concertation avec les habitants, en animant des ateliers avec eux.

 

A quoi jouez-vous en ce moment ?

J’aime bien jouer aux jeux de société, notamment Code Name que j’adore, ou encore Esquissé ?, un jeu par le dessin en forme de téléphone arabe, que je trouve assez rigolo. Avec mes enfants, nous passons de très bons moments à jouer au Catan. Ils adorent !

 

Quel est votre rapport au jeu ? Utilisez-vous le jeu dans vos projets urbains ?

J’utilise le jeu auprès des habitants mais aussi auprès des élus. Comme ils sont très sollicités, que leurs journées sont rythmées et ponctuées de nombreuses réunions, simplement exposer nos idées (les siennes et celles de ses collègues) sous forme de conférences ou juste de discussions a tendance à les perdre. Mettre l’auditoire en position attentiste n’est pas propice à l’échange. Les participants reçoivent l’information, sans réagir, interagir et discuter. La conversation reste stérile. Il faut sortir de ce type de cadre pour créer un climat plus enrichissant. Donc petit à petit, nous avons voulu développer le côté créatif de chacun, pour sortir de cette posture d’expert et être vraiment dans la collaboration pour parler du territoire. En cheminant avec mes collègues, nous avons inventé différents outils ludiques.

Ce n’est pas simplement le jeu en soi, mais tout l’environnement et la bulle créée autour de la médiation qui permet l’échange. Pour la création d’un nouveau quartier à Notre Dame d’Oé, nous avons par exemple mis en place différents temps de consultation des riverains pour bâtir avec eux les grandes lignes du projet. Au départ, ils étaient tendus par l’arrivée prochaine de ce nouveau quartier près de chez eux.

Nous avons donc créé un jeu de cartes destiné à les faire réfléchir à l’aménagement de ce nouveau morceau de ville, en les laissant jouer et s’exprimer de façon individuelle au sein d’un groupe d’une quinzaine de personnes. Chacun devait choisir un ensemble de cartes au sein des 11 familles que compte le jeu, pour mettre en avant leur vision rêvée de ce futur quartier (place de la nature, de la voiture, forme urbaine, équipements, services, commerces, etc)

Dans un second temps, nous avons organisé une balade sur la commune pour confronter les habitants à la réalité du terrain, ses enjeux, ce qu’il faut préserver, les risques naturels… En plus de faire mûrir certaines idées et de se mettre dans une position plus propice au débat, ce temps de balade a permis encore une fois le dialogue avec les riverains.

Au retour de cette visite, nous les avons fait rejouer au jeu des 11 familles pour remettre en débat les visions de chacun et nous rendre compte des nombreux enjeux contradictoires auxquels un aménagement doit répondre : lien avec le tissu urbain existant, densité et forme des logements, taille des parcelles, place et usages des espaces publics, espace consacré à la voirie, aux différents modes de déplacements, etc. Les élus ont « joué » à leur tour et échangé avec les habitants lors d’une réunion commune. Grâce à toutes ces discussions, nous nous sommes rapprochés d’un projet acceptable pour les riverains tout en répondant aux besoins de la commune. De là, 3 esquisses de projets ont été proposées. Puis, chacun a voté pour celle qui répondait le mieux à ses attentes.

L’agence d’urbanisme utilise le jeu à plein d’autres occasions, comme le mini jeu de rôle réalisé lors du projet “et si la place Jean Jaurès était plus qu’un rond-point” à l’occasion de la France Design Week en 2020.

 

 Que retirez-vous de ces utilisations du jeu ?

Ce projet, comme d’autres que nous avons pu mener, montre qu’à travers le jeu, nous pouvons désamorcer les conflits, créer un climat de confiance et bâtir un projet de façon collaborative. C’est un moyen de recueillir la parole des habitants, celle des élus et de mieux entrevoir toute la complexité avec laquelle se fait de la ville, sans être tétanisé par le jargon des professionnels.

Généralement, les gens sont réceptifs à nos médiations. Avec le jeu, chacun peut s’exprimer plus aisément et laisser vagabonder son imagination. Une carte, une photo aérienne, des feutres, quelques pièces en bois figurant le végétal, l’habitat, les équipements, etc., peuvent permettre d’échanger sur un projet. Nous avons utilisé ce type d’outils pour repenser l’aménagement de cours d’école dans le cadre du projet Récré en herbe porté par la ville de Tours. Ainsi, tant les enseignants que les enfants ont fait part de leurs envies respectives d’aménagement, et collectivement, on a cheminé vers un projet pour désimperméabiliser et végétaliser ces cours.

 

Comment en êtes-vous venus à travailler sur l’utilisation du jeu dans le territoire ?

Une formation aux démarches participatives avec les Robins des villes !

Je développe depuis des démarches de concertation avec les habitants. Les Robins des villes sont une association lyonnaise regroupant des personnes de disciplines variées et très investis dans le rapport au jeu. Depuis cette formation, j’enrichis mes ateliers avec des outils plus ludiques. Je trouve que tant les élus que les habitants sont plus réceptifs qu’avant.

En fait, plus on discute de ces utilisations du jeu, plus je me rends compte de leur importance pour toucher divers publics et rendre plus accessible les questions d’aménagement, tout en ramenant de la joie et en s’amusant.

 

Est-ce que d’autres utilisations du jeu vous ont touchées ?

J’aime bien travailler avec d’autres bureaux d’étude pour réinventer nos pratiques. C’est un champ immense qui foisonne d’exemples. J’apprécie beaucoup ces manières inhabituelles et sensibles d’aborder le territoire.

 

Pour finir, avez-vous de nouvelles envies liées au jeu ?

Oui ! J’ai hâte de découvrir le jeu que vous êtes en train de créer pour nous permettre de travailler avec les élus sur le futur projet de territoire de la métropole Tours Val de Loire, (NDLR : Utelias qui réalise cet interview est en collaboration avec Bénédicte Métais)

Pour être honnête, il est vrai que j’aimerais beaucoup développer des jeux plus constitués, avec de véritables plateaux de jeu, comme vous le proposez dans le projet. Je pense que ce serait très intéressant. C’est essentiel de ramener le jeu dans nos vies !

Donc, bien sûr, j’ai plein de nouvelles envies. En plus, grâce au temps que j’ai passé à préparer l’interview, j’ai pris conscience de la quantité de choses mises en place, et de l’importance du jeu. Ça me donne vraiment envie d’aller encore plus loin. Il y a des tas de choses à inventer !

 

Aller plus loin

En savoir plus sur Bénédicte Métais

Bénédicte Métais – Linkedin

 

Ceux qui ont été cités

Les robins des villes – Site

Projet aménagement territoire Notre Dame d’Oé – Enquête publique

Récré en herbe – Site de la ville de Tours

France Design Week – Site

Atelier place Jean Jaurès – La nouvelle république 37 Mag

La ville en valise – Facebook Site

 

Les jeux qui ont été cités

Code Name – Trictrac

Esquissé ? – Trictrac

Catan – Trictrac