
Le : 5 mars 2021, par Fabien Vidal
Arnaud Sylla
Psychologue clinicien, geek patenté, et bricoleur
L'essentiel
“Grâce au jeu, et à la rencontre sur la culture du jeu, il avait réussi à se redresser !”
Arnaud Sylla est psychologue clinicien, mais il n’oublie pas que son premier métier a été animateur de colo. Il est aussi bricoleur et geek patenté. Et sans faire exprès, c’est son premier patient qui a vu en lui un psy qui fait jouer ses patients et qui s’appuie sur la culture du jeu vidéo dans les médiations thérapeutiques.
Interview
Arnaud, vous êtes psychologue clinicien, c’est un peu intimidant… Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?
C’est plutôt à mes patients qu’il faudrait le demander !
Alors, essayons. Je suis psychologue clinicien. Je travaille dans le médicosocial, le service public, l’université, l’associatif, et le libéral. Ah, et je suis dans le comité de rédaction d’une revue, et je suis membre de l’association Hébé aussi…
Mais à la base, je suis animateur ! Mon premier diplôme a été le BAFA. À 17 ans, animateur a été mon premier travail pour gagner de l’argent. J’ai été formé au CEMEA (Centre d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active). Ce qui m’a particulièrement marqué dans cette formation, c’était comme réinvestir l’éducation par “l’oisiveté curieuse” (le Skoleh), où comment enseigner à partir du rythme d’un enfant.
À quoi jouez-vous en ce moment ?
Je joue en ce moment à un jeu de super héros. J’adore courir sur les toits, j’aime cette liberté ! Et, ce n’est pas du jeu, mais j’aime bien aussi, quand j’ai un moment au cabinet, me poser dans le canapé et monter le son !
Vous utilisez du jeu dans vos médiations thérapeutiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Effectivement, on peut jouer (ensemble ou en ma présence) dans le cadre thérapeutique. Mais l’objectif n’est pas “d’utiliser” le jeu. L’objectif, c’est de JOUER, jouer en temps que tel, car si un patient joue c’est qu’il va bien.
Mon cabinet est organisé pour laisser cette possibilité, mais sans l’imposer : j’ai un super écran, un pc assemblé par mes soins, une PS4, des jeux, et de quoi envoyer du son ! Mais tout ceci est dissimulé derrière une bibliothèque amovible et le canapé ; car le jeu se met en place à un moment, quand cela a du sens. Mais ce n’est pas une nécessité.
D’ailleurs, je ne fais pas que jouer. Ce n’est pas le jeu en soi qui est important, mais la culture de mes patients : c’est l’altérité du jeu, la façon dont ils en parlent, le lien que l’on peut créer avec. Mais on peut également écouter du bon son dans mon cabinet… Car le son apporte autre chose. C’est un contenant. Il a une fonction sécurisante qui permet parfois d’avoir cette enveloppe. Et puis c’est l’occasion de parler d’initiation, de génération, de style, etc., d’identification.
Comment en êtes-vous venus à faire jouer dans vos médiations thérapeutiques ?
C’est venu tout seul. En fait, ce n’est pas moi qui me suis reconnu comme psychologue geek. C’est mon premier patient qui m’a identifié comme tel.
C’était en 2007, à la fin de mes études. J’avais été invité à participer à une médiation pour un adolescent dépressif. Un confrère lui avait fait créer un avatar en terre pour le mettre en situation dans des psychodrames. Mais moi, j’y ai tout de suite vu les Sims ! (Un jeu en ligne populaire à l’époque.)
Mon rôle dans cette médiation était de “jouer” avec lui, au sens théâtral du terme. Mais presque à l’insu de mes collègues nous avons détourné la médiation… D’abord, j’ai vite reconnu qu’il jouait à World of Warcaft, et surtout qu’il y incarnait un personnage complètement inconnu des néophytes. Cette reconnaissance geek a permis de créer un pont. Ensuite, j’ai amené -mine de rien- des jeux de logique, car je voyais bien que cet ado avait des capacités qui n’étaient pas identifiées ni reconnues, par les adultes. C’est vrai que ça court-circuitait l’exercice, mais il s’en est emparé tout de suite et ça le stimulait ! Ce glitch s’est approprié avec l’accord de mes collègues, vu les effets positifs dans la thérapie. Ainsi au fil des séances, nous l’avons littéralement vu se redresser ! Moralement, mais aussi changer de posture physique : grâce au jeu, et à la rencontre sur la culture du jeu, il avait réussi à se redresser !
Quelque temps plus tard, le jour même où j’ai signé mon contrat, ce patient -mon premier patient- m’a apporté une lettre de remerciement ! Je peux vous dire que c’est rare, et symboliquement, j’ai le sentiment que c’est lui qui m’a “Autorisé” à cette place.
Mais ce n’est pas pour autant que j’ai été reconnu par l’institution… Très fier, je me suis appuyé sur cet exemple pour mon diplôme. Et je me suis fait dé-mon-ter, car cette approche ne faisait pas très sérieuse. Il faut dire qu’il y a 14 ans nous étions dans une autre époque, qui déjà voyait le jeu vidéo et la culture geek au prisme de paniques morales, mais ou peu de monde en parlait sur ce qu’il avait de positif.
Mais il faut remercier les premiers à avoir ouvert le chemin : Virole, Tisseron, Stora, et Leroux notamment.
Aujourd’hui, les choses ont changé et il est désormais possible de faire parler ces objets de culture et de cette approche dans beaucoup d’endroits, et en premier lieu auprès des patients en souffrance.
Avez-vous d’autres projets sur le jeu ? Ou des envies de coopération ?
Oh oui… Mais déjà, il faudrait du temps. Bon déjà la semaine prochaine nous allons monter des ordinateurs avec des ados du centre Oreste. Mais ça, c’est une récréation.
S’il y a une chose que j’aimerais faire, ce serait de pouvoir emmener les ados rencontrer des gens qui parlent de leur culture – jeux vidéos, manga, musique…- et de leur faire créer des choses. C’est ce que nous essayons de faire avec mon confrère Simon Galopin, mais ce n’est pas facile, car cela demande du temps, de connaitre ces personnes, mais aussi d’avoir l’énergie pour soutenir les ados, car ils ne s’autorisent souvent pas à aller jusqu’au bout…
Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?
Il y en a pleins ! En région Centre-Val de Loire par exemple, il y a le travail de Xavier Girard, enseignant à l’école de design d’Orléans. Il avait créé l’exposition itinérante Oujevipo qui mettait en scène des jeux indépendants et des « contrôleurs inadaptés”. Il y a aussi le collectif d’Artistes Tourangeau les ElefantCat qui créent et exposent des nonJeux vidéos.
Ce qui me plait dans ces exemples c’est l’altérité du jeu : le rapport des gens au jeu, et la manière dont ils en parlent. Et c’est justement ce qu’explorent Xavier et les ElefantCat.
Pour finir, ou peut-on en savoir plus ? Avez-vous des annonces à faire ?
Si vous voulez en savoir plus vous pouvez lire l’ouvrage “Médiations numériques : jeux vidéos et jeux de transfert” aux éditions ERES, dirigé par Marion Haza et auquel j’ai contribué.
Avec une partie des confrères qui ont participé à cet ouvrage nous sommes en train de publier « les petites causeries numériques », une série de Podcast à destination des parents et professionnels qui sera publié sur le site de l’OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique)
Et cette année, un de mes articles devrait être publié dans la revue “Enfance et Psy”. Il traitera de “la haine dans le jeu vidéo et les manga, comme support dans la relation thérapeutique”.
Aller plus loin
En savoir plus sur Arnaud Sylla
Son compte twitter @ArnaudSylla
Les publications
Échange filmé Le jeu vidéo comme outil de médiation, objet culturel et objet de soin, Grégoire Latry et Arnaud Sylla, Upopi (2019)
Échange filmé Panorama des jeux vidéos et différences d’usages en fonction des âges : du jeu vidéo au Je-vis-des-hauts, Grégoire Latry et Arnaud Sylla, Upopi (2019)
Ceux qui ont été cités
L’association Hébé
Centre d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active (CEMEA)
Simon Galopin – Site
Marion Haza – Site
Benoit Virole – Wikipedia – Site
Mickael Stora – Wikipedia
Yann Leroux – Site
Les ElefantCat
Xavier Girard – Site
L’école Supérieure d’Art et de Design d’Orleans (ESAD)
Revue Enfance et Psy
L’OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique)
Les petites causeries numériques – saison 1
Les jeux qui ont été cités
Les sims (la franchise) – Wikipedia – Site
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