Bruseker, Marlet et Guillem
Crédit photo : George Bruseker, Olivier Marlet, Anaïs Guillem, et LAT

Le : 1 avril 2021, par Fabien Vidal

Olivier Marlet et al.

Olivier Marlet, Laboratoire Archéologie et Territoires de Tours (UMR CITERES),

Anaïs Guillem, UC Merced en Californie

George Bruseker, Foundation for Research and Technology – Hellas à Athènes

L'essentiel

« L’ontologie est aux données ce que la grammaire est au langage »

Anaïs et George veulent aider les chercheurs du patrimoine à s’approprier l’ontologie CIDOC CRM, un standard pour créer des bases de données interopérables (qui peuvent échanger des données entre elles) sur le patrimoine. Mais comme une langue étrangère, on a besoin de manipuler l’ontologie pour l’apprendre ! Alors ils ont créé le CIDOC CRM Game.

Olivier Marlet avait justement besoin d’un outil pour aider les archéologues français à s’approprier cette ontologie. Ensemble, ils ont décliné CIDOC CRM Game sur les fouilles archéologiques de Marmoutier, et avec ce jeu ont réussi à “débloquer plein de choses”.

Interview

Bonjour, vous êtes tous les 3 en lien avec la recherche en archéologie, mais chacun avec sa spécialité. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?

George : Bonjour, je suis George Bruseker, Canadien francophone. Je vis en Bulgarie et travaille au FORTH (Foundation for Research and Technology – Hellas) en Grèce.

J’ai étudié la philosophie. Je travaille depuis 20 ans dans le domaine du patrimoine et l’informatique, notamment sur l’organisation des collections de données liées au patrimoine.

Anaïs : Je suis Anaïs Guillem, doctorante de l’University of California Merced sur l’application des modèles ontologiques pour le patrimoine et l’architecture. Une ontologie, c’est un ensemble de règles pour organiser des données et pouvoir les échanger. (“l’ontologie est aux données ce que la grammaire est au langage”.) Cette année, je suis en France pour me joindre au programme de restauration de Notre-Dame de Paris, en vue de sa reconstruction.

Olivier : Je suis Olivier Marlet, ingénieur de recherche sur les bases de données au LAT, Laboratoire Archéologie et Territoires de Tours. Le LAT est notamment responsable des fouilles archéologiques de Marmoutier dans le cadre d’un projet de recherche régional. Je coordonne également un axe de travail sur le web sémantique au sein du Consortium MASA. Le but, c’est que l’énorme quantité de données créées dans nos recherches ne soit pas perdue à terme.

Jouez-vous en ce moment ?

Olivier : Oui, je joue à des jeux de société. Par exemple les Colons de Catane.

George : Je joue aux jeux de société, aussi.

Anaïs : Je m’intéresse aux jeux d’apprentissage de la langue.

Quel est le rapport entre le jeu, les données et le patrimoine ?

Olivier : Anaïs et George ont créé CIDOC CRM Game, un jeu conçu pour initier les chercheurs et les étudiants à l’ontologie CIDOC CRM. C’est une ontologie définie pour structurer les bases de données liées au patrimoine. Et au LAT, nous avons décliné ce jeu sur les fouilles archéologiques de Marmoutier (on dit “créer une instance”) pour former nos équipes.

George et Anaïs : Effectivement, nous avons commencé à travailler sur CIDOC CRM Game en 2016. Nous nous sommes rencontrés en 2015, mais ça faisait longtemps que nous avions l’idée de faire un jeu pour introduire les concepts de l’ontologie. Depuis, des instances ont été développées sur plusieurs sites en France, au Royaume-Uni et à Chypre.

 

Comment en êtes-vous venus à créer un jeu pour initier à l’ontologie ?

George : On peut déjà revenir sur la motivation pour développer et appliquer une ontologie. Depuis longtemps, les musées ont chacun leurs propres systèmes de classement des données, qui correspondent à leurs besoins. Mais déjà, dans les années 50, le conseil international des musées (ICOM) avait identifié le besoin d’harmoniser ces systèmes de classement pour faciliter les recherches croisées. Dans les années 90, une tentative de grande base de données, partagée entre tous les musées du monde, avait été lancée. Mais ça a été un échec.

Mais rapidement, avec le développement de l’informatique et d’internet, l’intérêt de la méthodologie ontologique s’est développé : cette méthodologie permet à chacun de développer sa base de données qui correspond à ses besoins, mais d’une manière harmonisée qui permet d’échanger des données entre elles. CIDOC a été initié en 1996, et en 2006, c’est devenu le standard international pour l’échange de données dans le domaine du patrimoine.

Il faut voir CIDOC CRM comme un langage pour s’exprimer et partager des données. Un langage constitué de près de 100 classes et 200 propriétés.

Anaïs : Depuis 2015, avec George nous faisons partie d’un groupe de travail dont l’objectif est de diffuser CIDOC CRM chez les chercheurs du patrimoine, et de le faire comprendre pour qu’ils le mettent en œuvre. 

Le problème, c’est que ces chercheurs qui créent les données ne sont pas des spécialistes des bases de données. Il faut donc leur apprendre, comme une langue étrangère. Nous nous sommes vite rendu compte que les présentations sur PowerPoint passaient mal. Et comme une langue, pour apprendre l’ontologie, nous avons besoin de la manipuler.

C’est dans ce cadre qu’avec George nous avons développé CIDOC CRM Game, avec l’objectif de surmonter 2 obstacles : technique (NDLR Le “vocabulaire” de cette langue) et conceptuel (NDLR Sa “grammaire”). Pour lever l’obstacle technique, nous développons des instances sur des données que connaissent déjà nos apprenants. Par exemple, avec le LAT, nous avons utilisé les données de Marmoutier.

Ainsi, ils peuvent se concentrer sur les concepts. Et c’est là où le jeu intervient, en permettant de manipuler les concepts de l’ontologie.

Et on voit une différence ! Dans les ateliers, les participants sont enthousiastes. Le jeu permet de passer les premières marches, qui sont particulièrement difficiles.

Olivier : J’ai été impliqué dans CIDOC CRM Game en 2017. Exactement comme l’expliquent George et Anaïs, dans le cadre du Consortium MASA (Mémoires des Archéologues et des Sites Archéologiques) nous avions des données aux formats très variés, et des bases de données avec des structures très différentes. Mais aussi cet enjeu de les partager. Pour y répondre, nous avons travaillé sur le web sémantique, et créé  un modèle de données ouvert basé sur l’ontologie du CIDOC. Mais l’apprentissage du CIDOC était trop complexe pour les archéologues…

Puis, nous avons découvert le jeu d’Anaïs et de George. Il a permis de débloquer plein de choses !

Pouvez-vous nous parler d’autres utilisations du jeu qui vous ont touchées ?

George : À vrai dire, c’est vraiment le besoin de transmettre qui m’a donné l’envie de créer CIDOC CRM Game. Je n’ai pas plus de culture sur les utilisations du jeu.

Anaïs : J’ai développé un autre jeu de cartes ! Il est sur la ville de Merced en Californie. Nous avons une base de données “Historic Places in Merced” qui dresse un inventaire de 900 bâtiments ayant une valeur historique. Pour la diffusion de ce patrimoine, j’ai dessiné et édité un jeu de cartes à jouer qui représente une partie de ces bâtiments. Il est en vente au Courthouse Museum et a contribué à lever des fonds.

Pour finir, avez-vous des projets, de nouvelles envies liées au jeu ?

Anaïs : La version papier de CIDOC CRM Game permet d’amorcer l’apprentissage de l’ontologie. Mais il faut l’animer, ce qui rend difficile l’organisation de plusieurs séances successives. Si bien qu’on est loin d’utiliser tout son potentiel pédagogique.

Olivier : C’est pourquoi nous aimerions développer une version numérique qui permette de rejouer seul, sur des mises en situation plus avancées. D’ailleurs (grâce à vous), nous venons de rencontrer quelqu’un à Tours, développeur de jeu et chercheur sur les bases de données, qui devrait nous aider à développer cette version.

Mais je vois plus loin : l’enjeu des ontologies n’est pas limité au patrimoine ! Pourquoi ne pas étendre ce jeu à d’autres ontologies ? Au LAT nous avons déjà eu l’exemple d’une interface de web sémantique pour le patrimoine mise en libre accès. La BNF (Bibliothèque nationale de France) l’a trouvée intéressante, et a financé sa déclinaison pour son propre usage. Pourquoi la même chose n’arriverait-elle pas à CIDOC CRM Game ?

Anaïs : De mon côté, dans la lignée de Historic Places in Merced Playing Cards, j’aimerais continuer à explorer la mise en valeur du patrimoine local par le jeu. Peut-être un cahier de coloriage ?

Si l’on revient sur CIDOC CRM Game, je pense qu’il serait important de mieux comprendre la manière dont les mécanismes du jeu impactent l’apprentissage, pour faire encore mieux !

 

Aller plus loin

En savoir plus sur George, Anaïs et Olivier

George Bruseker – Academia

Anaïs Guillem – AcademiaUC Merced

Olivier Marlet – Université de Tours

 

Ceux qui ont été cités

Consortium MASA (Mémoires des Archéologues et des Sites Archéologiques) – Site

CIDOC CRM – Wikipedia Site

CIDOC CRM Game – Site

Foundation for Research and Technology – Hellas – WikipediaSite

University of California Merced – WikipediaSite

Laboratoire Archéologie et Territoires de Tours (LAT) – Site

UMR CITERES (Université de Tours) – Site

Le site archéologique de Marmoutier – Wikipedia LAT

Conseil international des Musées (ICOM) – Wikipedia Site

Historic Places in Merced – Digital Humanities at Bekerley

Merced County Courthouse Museum – Wikipedia Site

 

Les jeux qui ont été cités

Les Colons de Catane – WikipediaTric Trac

Historic Places in Merced Playing Cards – Article

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